Les aventures de Petitboutdpaind'épice (2)
Petitboutdpaind'épice était tout surpris ; il se retrouvait dans un nid bien étrange. Certes, celui-ci était très confortable, mais il tanguait dangereusement. Il ouvrit ses petites ailes et resserra ses griffes autour de sorte de rondins bienvenus. Ainsi accroché, il se laissa entraîner dans un tourbillon de sensations rigolotes qu'il n'était pas près d'oublier. Ne serait-ce que ces énormes feuilles aux pointes extrêmement agaçantes qui essayaient sans arrêt de l'arracher à ses rondins, il aurait pris un plaisir fou à laisser le vent ébouriffer son duvet sous la vitesse.
De son côté, Floriane regardait madame Hugues qui se tordait dans tous les sens les mains dans les cheveux pour tenter d'y déloger l'intrus. Mais le jeune oiseau accrochait si bien son bigoudi que tous ses efforts restèrent vains. Enfin, la voisine se calma. Sans doute honteuse du spectacle qu'elle venait de donner à une gamine de dix ans, elle se redressa bien droite, tandis que son passager retrouvait tout son équilibre et s'accrochait encore plus fermement à son rondin en attendant le prochain tour de manège.
- Tiens, dit madame Hugues à Floriane, enlève-moi donc ce qui m'est tombé dans les cheveux.
Elle se baissa et ce fut avec émotion que la fillette approcha son petit oiseau et le toucha enfin. Qu'il était doux et soyeux !
- Petitboutdpaind'épice, murmura-t-elle sans trop savoir comment le prendre pour le retirer de la chevelure grise enchevêtrée, que je suis contente de te revoir !
- Allez, allez, l'interrompit madame Hugues, dépêche-toi !
C'était beaucoup plus facile à dire qu'à faire. Floriane essaya d'abord d'inviter l'oiseau à grimper sur son index, mais ses griffes restaient fermement resserrées autour du bigoudi. Alors elle réunit ses deux mains pour le prendre, mais Petitboutdpaind'épice ouvrit ses ailes et toute tentative resta infructueuse.
- C'est bon ? demanda la voisine qui commençait à grimacer de rester ainsi penchée.
- Pas encore, répondit Floriane, il gigote.
- Il gigote, il gigote ! Empêche-le donc de gigoter !
- Je ne sais pas comment faire.
- Eh bien, moi, je sais ce que je vais faire !
Effarée, Floriane vit madame Hugues tourner les talons et retourner à grands pas vers sa maison.
- Vite, envole-toi, Bout-d'épice, cria-t-elle en courant derrière la voisine, envole-toi, envole-toi, envole-toi !
Malgré ses ailes qui s'agitaient dans tous les sens, Bout-d'épice, comme l'appelait affectueusement la fillette, ne décolla pas. La voisine rentra dans sa maison en courant et ferma la porte au nez de Floriane.
- Non ! cria-t-elle en martelant la porte de ses jeunes poings, vous n'avez pas le droit de faire du mal à Bout-d'épice ! Bout-d'épice ! Bout-d'épice !
Floriane tapa désespérément contre la porte. Elle voulut l'ouvrir, mais les gonds non huilés empêchaient le lourd et vieux panneau de bois de s'ouvrir. La fillette se rappela que tout le monde disait que la voisine ne recevait jamais personne. Elle en conclut que c'était à cause de la porte. Madame Hugues était assez costaud pour l'ouvrir sans difficulté, ce qui n'était probablement pas le cas de son entourage.
De son côté, Bout-d'épice ne bougeait plus. Un tronc d'arbre très bizarre se dressait face à lui, mais aucun bruissement ne lui parvenait. Pas de vent, pas d'insectes, pas de graines. Il devait se trouver dans une sorte de nichoir, de grand nichoir. Le tronc d'arbre face à lui se pencha en avant en même temps que ces deux affreuses feuilles remuantes essayèrent encore de le déloger. Avec horreur, il comprit que le rondin sous lui décollait du sol. Les feuilles l'emportaient, et lui avec ! En silence, il suivait le mouvement tout en fixant le tronc d'arbre en face de lui. Les branches remuaient et engloutissaient un autre petit être qui ne bougeait pas. Pauvre petit être ! Un autre oisillon aussi déboussolé que lui ! Un petit frère ! Bout-d'épice prit la décision de le défendre. Si seulement il ne se sentait pas aussi étourdi : il avait l'impression que lui-même bougeait de la même manière que ce petit être, c'est-à-dire en voltigeant et en décrivant de grands cercles. Enfin ! son rondin ne bougea plus. Ni une, ni deux, il se précipita vers ce petit frère et vit avec joie que celui-ci s'élançait dans sa direction ! Il avait compris qu'il venait le sauver ! Encore un peu… Aïe ! Bing ! Pouf ! Un peu assommé, Bout-d'épice retomba lourdement sur un sol froid et dur. Il eut beau tendre ses courtes ailes, il lui fut impossible de saisir le petit être. Bientôt, le vent lui ébouriffait à nouveau les plumes…
La porte s'ouvrit. Madame Hugues se dressait devant Floriane. Lorsqu'elle vit l'oiseau, la fillette hurla de joie :
- Bout-d'épice !
- Il va bien, dit la voisine en déposant le frêle volatile soyeux délicatement entre les mains de Floriane, mais j'ai eu bien du mal à l'enlever de mon bigoudi et une frayeur quand je l'ai vu s'écraser sur le miroir du lavabo !
La fillette n'osait y croire. Des larmes de joie coulaient de ses joues. Elle tenait son protégé entre ses mains. Il semblait l'observer, tout en bougeant de façon saccadée. Madame Hugues se mit à rire.
- Tu en fait une tête !
- Merci de ne pas lui avoir fait de mal.
La voisine eut l'air peinée.
- Bien sûr que je ne lui ai pas fait de mal ! Comment chose pareille s'est-elle insinuée dans ta petite tête ?
Tout en tenant Bout-d'épice contre elle, Floriane murmura :
- Parce que vous êtes tout le temps en colère et que vous ne recevez jamais personne.
Le visage de madame Hugues se dérida et se rapprocha de la fillette.
- Ai-je l'air en colère ?
- Euh… Non.
- Suis-je seule dans mon jardin ?
- Non.
- Bon alors, je ne suis pas tout le temps en colère et je reçois du monde.
La fillette rit lorsque Bout-d'épice se percha enfin sur son index. Il les regardait avec curiosité.
- Veux-tu essayer de lui donner des graines ? demanda madame Hugues.
Floriane acquiesça et la voisine lui en donna quelques-unes.
- Il les prend ! s'exclama-t-elle ravie.
A cet instant, un ballon atterrit dans le jardin. Bout d'épice fut si affolé qu'il ouvrit ses petites ailes et le vent l'emporta vers les cimes des arbres. De nombreux moineaux s'envolèrent avec lui.
- Bout d'épice ! cria Floriane, où es-tu ?
(à suivre dès le 30 avril)
Aster
Le dessin est très expressif.