Les aventures de Petitboutdpaind'épice (4)
Floriane tenait entre ses mains les lunettes de soleil de madame Hugues avec d'infinies précautions. Posé sur l'un des verres, Petitboutdpaind'épice ne cessait de pépier en admirant son reflet. Comme il remuait très souvent, la fillette gardait les yeux fixés sur lui. Elle trébuchait à chaque pas sur les cailloux qui bordaient la rivière. Madame Hugues s'en aperçut et dirigea elle-même Floriane.
- Un pas sur la gauche, un autre sur la droite ! Un pas de côté, un pas de l'autre côté !
A aucun moment la fillette n'eut à quitter son oiseau des yeux grâce au dévouement de sa voisine qui la tirait et la poussait dans tous les sens.
Petitboutdpaind'épice était excité : le petit être sous lui manifestait une reconnaissance évidente envers celui qui l'avait sauvé. Il sautait avec lui, dansait comme lui, ouvrait ses ailes… Même s'il faisait tout à l'envers et sous lui. Le petit être tenait à rester mystérieusement la tête en bas. Il fallait y remédier : Petitboutdpaind'épice voulait lui parler face à face. Hélas, il eut beau faire de gros efforts pour inviter son petit frère près de lui, celui-ci s'entêtait à garder tête en bas. C'était navrant.
Floriane soupira d'aise. Son oiseau venait de se calmer. Toujours posé sur l'un des verres de la paire de lunettes, il restait immobile.
- Bout d'épice ! l'appela-t-elle, inquiète. Bout d'épice ! Madame Hugues ! Bout d'épice ne bouge plus !
- Oh ! s'écria la voisine, il a dû attraper froid avec son bain, installe-le donc à nouveau dans les replis de mon tee-shirt.
Avec horreur, Petitboutdpaind'épice se senti soulevé et enlevé loin du petit être. Il remua en tous sens, mais quelque chose l'étreignait si fortement qu'il ne pouvait même plus remuer une aile. Pour finir, il se retrouva dans le noir. Il pépia misérablement.
- Ah, dit madame Hugues, s'il bouge, c'est qu'il va mieux que nous le pensions. Dépêchons-nous de rentrer : nous le mettrons dans la cage à oiseaux vide dans mon salon, le temps qu'il se rétablisse entièrement.
- Je préfèrere le garder avec moi, objecta Floriane. Il sera malheureux, si nous l'enfermons.
- S'il est faible, le chat pourrait le trouver. Non, il sera mieux dans la cage.
- Oh non ! Je veux le garder avec moi ! répéta Floriane.
La voisine soupira.
- Après tout, il semble qu'il se soit attaché à toi. Prends-le donc.
Enfin ! Il retrouvait l'air libre ! Petitboutdpaind'épice battit des ailes et s'envola dans un arbre.
- Nous l'avons perdu ! gémit Floriane.
- Au contraire, il cherche sa liberté. Ne l'en privons pas.
Madame Hugues remit ses lunettes sur son nez et se mit en devoir d'escalader la barrière en passant par-dessus comme la première fois.
- Oh non, s'écria-t-elle en se retrouvant perchée sur le bois, me voilà de nouveau coincée ! Je n'arrive plus à redescendre.
Floriane, qui s'était faufilée sous la barrière, cherchait son petit oiseau. Elle l'avait encore perdu. Elle songea que peut-être l'oiseau ne l'aimait pas… Floriane renifla tristement à cette idée et en fit part à sa voisine.
- Ne racontes pas de sottises ! s'exclama-t-elle. Aide-moi plutôt à redescendre. Mais Floriane eut beau essayer de pousser et de tirer madame Hugues, celle-ci restait sur sa barrière.
- J'ai le vertige, gémit-elle. Je ne peux pas regarder le sol.
- Je vais chercher Bout d'épice, dit Floriane, il nous aidera !
- Encore des bêtises, grommela madame Hugues en s'accrochant à son rondin. Il ne répondra pas à tes sifflements ! Oh, non, je viens de perdre mes lunettes !
Petitboutdpaind'épice était perché sur une branche dont l'écorce rugueuse très découpée le picotait. Il avait perdu le petit être et regardait tout autour de lui. Des tas d'oiseaux virevoltaient autour de l'arbre, mais aucun ne ressemblait à son petit frère. Soudain, il reconnut des bulles sombres familières posées sur l'herbe. Il poussa un piaillement si sonore que Floriane et madame Hugues sursautèrent. Petitboutdpaind'épice fonça droit sur les lunettes, en frôlant au passage la voisine qui tomba de son perchoir. Floriane poussa d'aussi sonores cris de joie que son oiseau qui atterrit près de la monture.
- Bout d'épice ! Bout d'épice ! Tu m'aimes donc un peu ?
- Toujours des bêtises ! s'exclama madame
Hugues qui essayait de se relever péniblement. Mais la fillette s'accroupit
près de son oiseau qui dansait devant les verres.
- Je crois qu'il aime vos lunettes ! dit Floriane. Si je les portais, Bout d'épice me suivrait jusqu'à la maison et je pourrais prendre soin de lui.
Effectivement, Petitboutdpaind'épice ne la quitta pas d'un battement d'aile. Il venait de retrouver le petit être. Floriane portait l'oiseau sur son index et le tenait à la hauteur de son visage, à distance respectable pour éviter un éventuel coup de bec. Elle remontait régulièrement les lunettes sur son nez. L'oiseau la regardait droit dans les yeux. Il était si content ! Enfin, le petit être avait accepté de lui parler en face à face. Joyeusement agrippé sur son perchoir, il pépia et s'agita très fort.
Elles arrivèrent à l'intersection d'où un sentier menait directement chez Floriane. Madame Hugues la quitta pour retourner dans sa maison. Dans la pénombre de la pinède, Floriane se dirigea vers son propre jardin et s'éloigna peu à peu du sentier. Elle enleva les lunettes de sa voisine et, de sa main libre, les fourra dans sa poche.
- C'est mieux ainsi, s'exclama-t-elle, je n'y voyais plus rien !
Petitboutdpaind'épice s'accrocha à sa veste pour rester au plus près de son petit frère qui avait glissé dans quelque sombre endroit auquel il ne pouvait accéder. Floriane rit.
- Tu es rigolo ! s'exclama-t-elle.
Bientôt, elle s'interrogea : quelle était la direction à prendre pour retourner chez elle ?
Floriane ne reconnaissait plus son environnement. Elle avait dû prendre un mauvais chemin.
- Madame Hugues ! cria-t-elle, êtes-vous là ?
Le vent se leva. Peu à peu, les bourrasques se firent de plus en plus violentes. Petitboutdpaind'épice s'agrippait fortement à elle. C'était d'un grand réconfort. Au moins, il ne la quittait pas.
- Où sommes-nous ? lui demanda-t-elle avant de se laisser tomber, épuisée, au pied d'un arbre. Se ramassant sur elle-même, elle appuya sa tête sur ses genoux tout en caressant son oiseau. Elle se mit à l'observer. Peu à peu, elle s'amusa à recopier ses mouvements saccadés.
Petitboutdpaind'épice fut stupéfait : le petit être était devenu géant ! Sans qu'il sache comment, il venait de le retrouver. Tout correspondait : il faisait les même gestes que lui ! La fillette rit. L'oiseau accentua sa danse et elle fit de même. Soudain, il fut emporté par une bourrasque de vent.
- Bout d'épice ! hurla Floriane.
Elle fut vite rassurée : l'oiseau était posé sur une branche à côté d'elle. Celui-ci était bien décidé à braver tous les dangers pour protéger son petit être devenu géant. Peut-être avait-il faim ? Vite, il fallait lui trouver des graines sans le perdre des yeux ! Il fit plusieurs allers et retours et, voyant que Floriane le suivait, la mena jusqu'à la maison de madame Hugues. Celle-ci accourut :
- Ma petite ! Que fais-tu encore dehors par ce vent ?
- Je m'étais perdue, dit Floriane, mais Bout d'épice m'a conduite ici.
- C'est incroyable ! reconnut la voisine médusée.
Petitboutdpaind'épice s'impatientait. Que la dame aux graines était donc longue à donner à manger au petit être devenu géant ! Il se mit à picoter les manches de madame Hugues.
- Coquin ! s'exclama-t-elle, bien sûr, tu veux à manger ! Je t'ai tellement habitué à te donner des graines que tu n'as pas le réflexe d'en trouver tout seul ! Floriane, il faudra le lui apprendre.
Ravie, la fillette acquiesça. Elle observa son petit oiseau qui se tenait sur le rebord de l'assiette en la regardant.
- Mange, petit oiseau, dit-elle, c'est pour toi.
Mais il ne mangea pas. Ce fut seulement quand Floriane reçut un goûter de la part de madame Hugues qu'il se décida.
- Vite, la pressa la voisine, il faut rentrer chez toi, tes parents s'inquiètent à ton sujet.
Floriane ne s'attarda pas et Petitboutdpaind'épice ne quitta pas son petit être géant. Non seulement il était en face de lui, mais maintenant, il lui parlait… Il se laissa transporter par lui en toute confiance. L'oiseau fut reçu avec des acclamations de joie. Les parents de Floriane et Rosalie le reconnurent et lui firent fête.
- Il a toujours sa boîte à chaussures, dit celle-ci en désignant l'objet toujours posé au salon.
Floriane secoua la tête.
- Non, il n'en a plus besoin, il est grand maintenant.
- Alors, nous achèterons une grande cage !
- Non, Bout d'épice doit rester en liberté. Il ira où bon lui semble.
Ce soir-là, Floriane mit Petitboutdpaind'épice dans le couffin de l'une de ses poupées.
- Bonsoir, mon petit oiseau, murmura-t-elle avant de se coucher.
Le lendemain, très tôt, Floriane se réveilla en sursaut. Petitboutdpaind'épice pépiait à qui mieux mieux !
(à suivre dès le 1er juin).