Les aventures de Petitboutdpaind’épice (8)
Chapitre
8 : De si beaux pétales de rose…
Lorsque Petitboutdpaind’épice chanta gaiement à cinq heures et demie ce matin-là, ce fut un concert de grognements. Rosalie poussait des exclamations indignées depuis sa chambre et Floriane grondait son petit oiseau depuis son lit, recroquevillée sur ses draps et la tête à moitié enfouie dans son coussin. Rien n’y fit. Petitboutdpaind’épice, heureux de vivre, essayait de leur communiquer son enthousiasme. Il se percha sur la fenêtre entrouverte et, au grand soulagement de la maisonnée, il s’envola dans le jardin.
L’air était encore bien frais ; le jour se levait à peine. Déjà, les lueurs de l’aube caressaient les pétales des roses qui ornaient le massif encore dans l’ombre au milieu du jardin. L’oiseau, émerveillé, se posa non loin de là. Il tourna la tête sur la droite, puis sur la gauche. Soudain, une énorme tache noire et blanche bondit sur lui. En poussant un cri rauque, il échappa de justesse aux griffes de l’animal qui miaula férocement, et se réfugia dans un pin aux longues aiguilles vertes qui brillaient dans les premiers rayons du soleil. Secoué par sa mésaventure, percevant les chants des autres oiseaux, Petitboutdpaind’épice donna de la voix. Brusquement, sans qu’il sût d’où elle sortait, la tache noire bondit de nouveau sur lui. Incapable de réagir, paralysé de frayeur, il poussa un cri en direction de sa maison avant de se sentir soulevé et bloqué par d’énormes tubes blancs. Son petit cœur battait. Il avait peur. Il aurait voulu retrouver son nid douillet, là-haut dans la chambre. Mais il ne pouvait pas fuir…
Mitchou, le chat de madame Hugues, la voisine, ne relâcha pas son prisonnier avant de l’avoir montré à sa maîtresse. Celle-ci prenait son café dans la véranda. En voyant arriver le petit félin blanc et noir avec sa prise, elle lâcha sa tasse qui se fracassa sur le sol. Apeuré, Mitchou desserra les dents et, en fuyant, laissa tomber Petitboutdpaind’épice par terre. Madame Hugues se précipita aussitôt vers le petit oiseau qui ne bougeait plus. Délicatement, elle le souleva et le plaça sur son journal pour l’examiner.
- Bout d’épice ! l’appela doucement la voisine en se souvenant du surnom que lui avait donné Floriane. Bout d’épice !
L’oiseau ne bougeait toujours pas. Ses yeux étaient fermés, son plumage mouillé. L’une de ses ailes pendait sur le côté. Madame Hugues ne se perdit pas en réflexion. Elle sortit dans la rue avec le papier journal et arriva devant le nouveau cabinet vétérinaire qui venait de s’ouvrir. Il était fermé. Evidemment ! Il était encore bien trop tôt ! Elle n’avait pas pensé à ce détail. Elle allait rebrousser chemin, lorsqu’elle vit un courrier dépassant de la boîte aux lettres. Une adresse était mentionnée, qui n’était pas celle de la rue où elle se trouvait. Madame Hugues, tout en tenant précautionneusement son petit protégé, traversa la moitié de la ville à pied. Elle se perdit bien des fois, cherchant sa direction, n’hésitant pas à frapper aux portes. Deux personnes, puis quatre, bientôt six, puis huit, enfin dix, puis quinze, lui emboîtèrent le pas, bien décidés à soutenir cette dame sûre d’elle à la carrure impressionnante. La maison du vétérinaire était perdue aux abords de la ville, sur une petite route qui n’était pas même située sur les cartes. Et pour cause, ce n’était pas une route, mais un étroit sentier sinueux qui se rétrécissait au fur-et-à-mesure que l’on approchait de la demeure…
- Je m’embourbe ! cria soudain madame Hugues.
En effet, ses bottes venaient de s’enliser et elle enfonçait. Tous se précipitèrent.
- Vous n’avez donc pas vu la flaque d’eau ? s’écrièrent ses compagnons de voyage.
- Bien sûr que je l’ai vue, s’énerva madame Hugues.
On l’aida à sortir du trou. Tremblante et chancelante, la terre collée sur les vêtement, elle vérifia si Petitboutdpaind’épice était toujours dans le journal. Il n’y était plus !
- Oh non ! cria madame Hugues.
Tous se mirent aussitôt à la recherche de l’oiseau sans hésiter à regarder le long du sentier en s’enfonçant eux-aussi dans la boue. L’un de ceux qui étaient là, un homme maigre au visage bienveillant, trouva Petitboutdpaind’épice au sec dans une touffe d’herbe. Ruisselants, tous se réjouirent. Mais madame Hugues se remettait en route.
- Allons-y ! Dépêchons ! cria-t-elle en remettant l’oiseau dans le journal. Continuons !
- Ce petit volatile demande des soins, protesta l’homme.
- Justement, en route ! dit-elle sans même l’écouter.
- Prenons ce raccourci, proposa l’homme.
Madame Hugues ne l’entendit pas de cette oreille. Alors, d’un geste, l’homme attrapa le journal.
- Vous n’avez pas le droit ! protestait madame Hugues en faisant de grands gestes tout en se mettant à courir derrière lui.
- Il faut soigner cet oiseau, répliqua l’homme.
- Vous ne prenez pas le bon chemin !
- Je sais où je vais, répliqua-t-il d’un ton sec.
Tous le suivirent. Ebahie, madame Hugues, les cheveux en bataille, constata qu’en effet ils arrivaient sans encombre à la maison du vétérinaire.
- Je vais le prévenir ! dit madame Hugues qui partait enjamber la clôture.
- Il est déjà prévenu, répondit l’homme poussant le portail.
- Vous êtes de sa famille ?
L’homme ne répondit pas et se hâta de pénétrer à l’intérieur de la maison, suivi des habitants de la ville.
- Je m’appelle docteur Broux, se présenta-t-il enfin en posant délicatement l’oiseau sur une table basse. En vous voyant arriver de loin, j’ai cru mon devoir de vous rejoindre sur le sentier. J’avais en effet pensé à une urgence.
Madame Hugues faillit tomber par terre.
- C’est vous le vétérinaire !?
Reconnaissante, madame Hugues sourit et se laissa tomber sur une chaise. Elle se releva aussitôt.
- Comment va Bout d’épice, docteur ? demanda-t-elle comme monsieur Broux fronçait ses sourcils. Est-il…
- Non. Il est vivant.
Soulagée, madame Hugues se mit à sangloter doucement.
- C’est à cause du chat…
- Les chats obéissent à leurs instincts, dit monsieur Broux en ouvrant une trousse médicale.
Une heure après, madame Hugues frappait à la porte de la maison de Floriane. Petitboutdpaind’épice, qui avait simplement été paralysé par l’émotion, était joyeusement perché sur son index, en pleine forme. Il n’attendit pas que la porte s’ouvre et s’envola en direction de son nid douillet dans la chambre de Floriane. Madame Hugues n’insista pas. Fatiguée, les vêtements sales, ainsi que ses cheveux, elle se dirigea vers sa propre maison. Mitchou arriva, content de la retrouver. Elle ne songea pas à le gronder. Au contraire, elle l’attira à elle en pleurant de joie et de soulagement dans sa fourrure soyeuse. Un ronronnement lui répondit bientôt…
Floriane était bien réveillée lorsque son oiseau revint.
- Alors, tu t’es bien promené ? lui demanda-t-elle. Tu as vu ? Les roses sont très jolies ce matin.
Mais Petitboutdpaind’épice n’avait plus envie d’aller admirer les fleurs. Il se pelotonna dans sa couverture moelleuse et ferma les yeux à la grande indignation de Rosalie.
- Maintenant qu’il nous a bien réveillées, il se rendort ! rouspéta cette dernière.
Mais Floriane caressa le plumage bien sec de son oiseau.
- Il a besoin de dormir, alors laissons-le…
(Suite dès le 08 août )