Les aventures de Petitboutdpaind’épice (9)
Les aventures de Petitboutdpaind’épice
Chapitre 9 : Les remords de monsieur Martin.
Monsieur Eugène Martin, un homme soigné à l’élégance désuète, essuya quelque grains de poussière accrochés à son veston blanc piqueté de boutons dorés tout en considérant la photo qu’il tenait à la main. En un mois de vacances amplement méritées, c’était la première fois qu’il daignait enfin y jeter un coup d’œil. En face de lui, sa femme guettait sa réaction tout en buvant son bol de café comme si de rien n’était. La cinquantaine, les joues déjà creusées de rides et les cheveux blancs, l’homme examinait l’image fixée sur le papier. Dans sa tête, les lettres, les mots, les phrases se formaient déjà. Il revenait sur sa décision. Cette ferme opposition injustifiée qui avait fait couler les larmes de l’une de ses élèves. Sans doute, l’oiseau avait pleuré lui aussi. Ce… Comment déjà ? Il releva la tête et sa femme sembla lire dans ses pensées.
- Petitboutdpaind’épice, dit-elle très vite.
Quel nom pour un oiseau ! Monsieur Martin bougonna. Il articulait tout bas, de façon inaudible, le discours qu’il comptait faire d’une minute à l’autre. Il mettait du cœur à l’ouvrage, sachant pertinemment que sa renommée était en jeu. Il est vrai qu’il s’était montré assez dur en cette fin d’année scolaire, époque où il était bien prévisible de trouver des élèves loin d’être sensibles à la bienséance de l’éducation. La chaleur, l’épuisement d’une année de difficultés de toutes sortes, les responsabilités : le pauvre homme était à bout de forces. Ce mois de repos avait maintenant renouvelé sa vigueur et il avait enfin accédé à la demande de sa femme : regarder la photo. Voilà qu’il n’arrivait plus à s’en détacher. Cette fraîcheur enfantine et souriante, l’oiseau libre et heureux, perché sur le doigt de la fillette…
Pour la première fois depuis longtemps, alors qu’il frottait son menton velu avec ses doigts bien propres, il remit la bonté et l’écoute à l’ordre de ses priorités. Accueillir un oiseau dans une classe ! Tout d’abord, la réponse avait été non. Et pendant longtemps, le directeur de l’école Molière n’avait plus prêté aucune attention à cette demande farfelue. Que celle-ci provienne d’une enfant, passe encore ! Mais de parents ! Même leur voisine s’était déplacée !
Malgré tous leurs arguments, monsieur Martin avait fait preuve de fermeté. Cependant, quand la maîtresse elle-même était venue plaider en faveur de l’oiseau, expliquant que celui-ci pouvait enseigner les mathématiques à la classe de CM2, il n’avait pas osé répliquer. Sans accepter non plus. Il avait tout simplement décidé d’ignorer cette affaire. Et pendant trente jours, inlassablement, sa femme lui avait remis sous les yeux matin, midi et soir la fameuse photographie.
Soudain, il se mit à rire. Très fort. Il imaginait déjà la réaction de ses supérieurs. Lui, monsieur Eugène Martin, le plus renfrogné des directeurs d’école primaire, toujours à marmonner entre ses dents lorsqu’un de ses élèves lui marchait par mégarde sur le pied, ce qui arrivait une vingtaine de fois par jour en période scolaire parce qu’il devait traverser la cour de récréation à 10 h précises tous les matins à cause de ses rendez-vous professionnels…, il frotta ses chaussons l’un contre l’autre à ce souvenir. Les hématomes avaient disparu et il en soupirait de soulagement. Il en avait assez, de la pommade.
Aujourd’hui, il se sentait d’humeur guillerette. Était-ce parce qu’il se préparait pour la première fois à changer d’avis ? Était-ce parce qu’il dérogeait à ses principes pour que son élève et l’oiseau ne pleure plus ? Si cette élève pouvait enfin comprendre ses leçons de mathématiques…
A l’autre bout de la table, sa femme avait terminé de boire son café et le regardait fixement. D’habitude, il ne supportait pas ce regard qui le faisait immédiatement changer d’avis et il détournait la tête. Justement, aujourd’hui, ce n’était plus comme d’habitude. Il trépignait même d’impatience pour faire son discours. Sa femme, silencieuse, étonnée de ce que son mari enfin la regarde avec cet amour qui lui avait fait défaut pendant si longtemps, semblait attendre le verdict.
Il énonça alors très distinctement :
- Ma chérie, tu auras un élève de plus à la rentrée cette année. Un élève très particulier…à plumes ! Je vais lui téléphoner moi-même pour lui annoncer la nouvelle !
Il partit à nouveau d’un très grand éclat de rire et sa femme se joignit à lui tandis que le soleil brillait de tous ses feux, éclaboussant la salle à manger de lumière et de bonheur…
( suite à retrouver dès la rentrée scolaire…)