Les aventures de Petitboutdpaind’épice (12)
Petitboutdpaind’épice se plaisait beaucoup à l’école. Tout le monde l’aimait : depuis le plus jeune élève des classes inférieures qui perdait ses dents de lait au directeur qui chatouillait les plumes du volatile chouchouté. Tantôt perché sur son couffin, tantôt sur le bureau de Floriane ou celui de la maîtresse, l’oiseau écolier passait des jours heureux à écouter les leçons de grammaire, d’histoire, de géographie, et surtout de mathématiques, car madame Martin se servait de graines pour expliquer les calculs difficiles.
Un jour pourtant, Petitboutdpaind’épice trouva son environnement monotone. Les élèves étaient penchés sur leurs cahiers et écrivaient les mots que leur dictait la maîtresse, lui était perché sur le rebord de son couffin. Il s’envola discrètement jusqu’au rebord de la fenêtre entrouverte et regarda dehors. La cour de récréation s’étendait devant lui avec ses bancs, ses marelles à la craie aux traits maladroits et enfantins, son étendue d’herbe verte et ses gros arbres où le petit oiseau passait des heures à jouer à cache-cache avec Floriane et ses amies… Plus loin, il y avait la cuisine et son pas de porte couvert de miettes de pain et de fruits, le bureau du directeur et, encore plus loin, un toit. L’oiseau se redressa : il n’avait jamais noté ce détail. Qu’y avait-il dessous déjà ? Il ne se souvenait pas avoir déjà vu ce qui se passait sous ce toit… Il pencha sa tête d’un côté, puis de l’autre, évalua la distance et, d’un battement d’aile, s’envola dans le ciel bleu.
Cette toiture n’était finalement pas si loin; Petitboutdpaind’épice y arriva sans peine. Les tuiles étaient presque toutes cassées et il lut faire attention où il mettait les pattes, sautillant joyeusement dans l’air pur du matin. Il ne vit pas le trou : il passa à travers le toit… et tomba quelques mètres plus bas sur un tas moelleux de brindilles. Un peu sonné, il se redressa sur ses pattes chancelantes. Il faisait si sombre ! Où était-il ? Des claquements d’ailes, des roucoulements résonnaient au-dessus de lui : les pigeons de la cour de récréation devaient s’être donnés rendez-vous là. C’étaient des amis et l’oiseau leur répondit par des piaillements joyeux. Le silence se fit. Après réflexion, il se rendit compte qu’il n’avait entendu aucun roucoulement familier et se mit à trembler. Il voulut s’envoler, mais à cet instant une gigantesque masse sombre se posa sans bruit devant lui et deux énormes brillants le fixèrent. Petitboutdpaind’épice se fit tout petit et essaya de se blottir sous une brindille. Mais le grand fut plus rapide et, d’un coup de tête, l’expulsa de sa cachette pour l’envoyer rouler plus loin. Petitboutdpaind’épice fut terrifié. Il resta immobile, osant à peine ouvrir les yeux pour regarder les doigts anguleux au bout de grosses pattes qui l’entouraient de toutes parts. Impossible de fuir. Alors l’oiseau gémit ; pourquoi s’était-il aventuré ici au lieu d’écouter la dictée de madame Martin ? L’endroit était lugubre.
Il se promit de ne plus avoir de telles idées saugrenues. On était bien mieux dans un couffin ou perché sur un bureau plein de graines ! Pendant un long moment, les oiseaux qui l’entouraient se mirent à roucouler en chœur. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Le vacarme devint assourdissant. Le frêle Petitboutdpaind’épice ne put en supporter davantage et il se mit à piailler de peur. Soudain, un fracas retentit et tout s’illumina…
Une grosse voix se fit entendre :
- Grand Roucou ! Cocopige ! Pigeonnette ! Jolipige ! Pijipiplette ! Mais qu’est-ce que c’est que tout ce bruit ! s’exclama-t-elle, on ne peut plus travailler tranquille !
Petitboutdpaind’épice la reconnut immédiatement, la bonne grosse voix du directeur !
Le ton s’adoucit.
- Mais ! Petitboutdpaind’épice ! Que fais-tu dans cette vieille grange ? Tu te prends pour un pigeon ?
Monsieur Martin se mit à rire et souleva le petit oiseau tout tremblotant.
- Notre élève a encore séché les cours, on dirait ! Personne n’a le droit de venir ici. Pas même toi. Je tiens à ce que mes petits protégés restent tranquille. Pas d’élève ici ! Grand Roucou est très gentil de m’avoir alerté de ta présence en incitant les autres à faire du bruit.
Petitboutdpaind’épice se détendit. C’est seulement à cet instant qu’il remarqua que les yeux brillants de Grand Roucou était sympathiques. Le gros volatile avait voulu le protéger.
Le petit oiseau poussa un joyeux piaillement pour dire au revoir à tous ces nouveaux amis avant de se laisser transporter jusqu’à la classe de Floriane. Il était si fatigué de toutes ses émotions qu’il n’eut aucune réaction lorsque monsieur Martin le coucha dans son couffin en lui chantant une berceuse et il s’endormit bien vite.
Petitboutdpaind’épice eut par la suite l’autorisation d’aller voir les pigeons dans leur grange, mais jamais tout seul. Dès que Floriane et ses camarades faisaient leur dictée hebdomadaire, le directeur venait chercher l’oiseau qui jouait une heure avec eux, puis il le ramenait en classe pour le cours de mathématiques que Petitboutdpaind’épice ne voulait pas rater, à cause des graines que lui donnait la maîtresse tout en résolvant les calculs au tableau…
(à suivre)