Les aventures de Petitboutdpaind’épice (12)
Petitboutdpaind’épice se plaisait beaucoup à l’école. Tout le monde l’aimait : depuis le plus jeune élève des classes inférieures qui perdait ses dents de lait au directeur qui chatouillait les plumes du volatile chouchouté. Tantôt perché sur son couffin, tantôt sur le bureau de Floriane ou celui de la maîtresse, l’oiseau écolier passait des jours heureux à écouter les leçons de grammaire, d’histoire, de géographie, et surtout de mathématiques, car madame Martin se servait de graines pour expliquer les calculs difficiles.
Un jour pourtant, Petitboutdpaind’épice trouva son environnement monotone. Les élèves étaient penchés sur leurs cahiers et écrivaient les mots que leur dictait la maîtresse, lui était perché sur le rebord de son couffin. Il s’envola discrètement jusqu’au rebord de la fenêtre entrouverte et regarda dehors. La cour de récréation s’étendait devant lui avec ses bancs, ses marelles à la craie aux traits maladroits et enfantins, son étendue d’herbe verte et ses gros arbres où le petit oiseau passait des heures à jouer à cache-cache avec Floriane et ses amies… Plus loin, il y avait la cuisine et son pas de porte couvert de miettes de pain et de fruits, le bureau du directeur et, encore plus loin, un toit. L’oiseau se redressa : il n’avait jamais noté ce détail. Qu’y avait-il dessous déjà ? Il ne se souvenait pas avoir déjà vu ce qui se passait sous ce toit… Il pencha sa tête d’un côté, puis de l’autre, évalua la distance et, d’un battement d’aile, s’envola dans le ciel bleu.
Cette toiture n’était finalement pas si loin; Petitboutdpaind’épice y arriva sans peine. Les tuiles étaient presque toutes cassées et il lut faire attention où il mettait les pattes, sautillant joyeusement dans l’air pur du matin. Il ne vit pas le trou : il passa à travers le toit… et tomba quelques mètres plus bas sur un tas moelleux de brindilles. Un peu sonné, il se redressa sur ses pattes chancelantes. Il faisait si sombre ! Où était-il ? Des claquements d’ailes, des roucoulements résonnaient au-dessus de lui : les pigeons de la cour de récréation devaient s’être donnés rendez-vous là. C’étaient des amis et l’oiseau leur répondit par des piaillements joyeux. Le silence se fit. Après réflexion, il se rendit compte qu’il n’avait entendu aucun roucoulement familier et se mit à trembler. Il voulut s’envoler, mais à cet instant une gigantesque masse sombre se posa sans bruit devant lui et deux énormes brillants le fixèrent. Petitboutdpaind’épice se fit tout petit et essaya de se blottir sous une brindille. Mais le grand fut plus rapide et, d’un coup de tête, l’expulsa de sa cachette pour l’envoyer rouler plus loin. Petitboutdpaind’épice fut terrifié. Il resta immobile, osant à peine ouvrir les yeux pour regarder les doigts anguleux au bout de grosses pattes qui l’entouraient de toutes parts. Impossible de fuir. Alors l’oiseau gémit ; pourquoi s’était-il aventuré ici au lieu d’écouter la dictée de madame Martin ? L’endroit était lugubre.
Il se promit de ne plus avoir de telles idées saugrenues. On était bien mieux dans un couffin ou perché sur un bureau plein de graines ! Pendant un long moment, les oiseaux qui l’entouraient se mirent à roucouler en chœur. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Le vacarme devint assourdissant. Le frêle Petitboutdpaind’épice ne put en supporter davantage et il se mit à piailler de peur. Soudain, un fracas retentit et tout s’illumina…
Une grosse voix se fit entendre :
- Grand Roucou ! Cocopige ! Pigeonnette ! Jolipige ! Pijipiplette ! Mais qu’est-ce que c’est que tout ce bruit ! s’exclama-t-elle, on ne peut plus travailler tranquille !
Petitboutdpaind’épice la reconnut immédiatement, la bonne grosse voix du directeur !
Le ton s’adoucit.
- Mais ! Petitboutdpaind’épice ! Que fais-tu dans cette vieille grange ? Tu te prends pour un pigeon ?
Monsieur Martin se mit à rire et souleva le petit oiseau tout tremblotant.
- Notre élève a encore séché les cours, on dirait ! Personne n’a le droit de venir ici. Pas même toi. Je tiens à ce que mes petits protégés restent tranquille. Pas d’élève ici ! Grand Roucou est très gentil de m’avoir alerté de ta présence en incitant les autres à faire du bruit.
Petitboutdpaind’épice se détendit. C’est seulement à cet instant qu’il remarqua que les yeux brillants de Grand Roucou était sympathiques. Le gros volatile avait voulu le protéger.
Le petit oiseau poussa un joyeux piaillement pour dire au revoir à tous ces nouveaux amis avant de se laisser transporter jusqu’à la classe de Floriane. Il était si fatigué de toutes ses émotions qu’il n’eut aucune réaction lorsque monsieur Martin le coucha dans son couffin en lui chantant une berceuse et il s’endormit bien vite.
Petitboutdpaind’épice eut par la suite l’autorisation d’aller voir les pigeons dans leur grange, mais jamais tout seul. Dès que Floriane et ses camarades faisaient leur dictée hebdomadaire, le directeur venait chercher l’oiseau qui jouait une heure avec eux, puis il le ramenait en classe pour le cours de mathématiques que Petitboutdpaind’épice ne voulait pas rater, à cause des graines que lui donnait la maîtresse tout en résolvant les calculs au tableau…
(à suivre)
Les aventures de Petitboutdpaind’épice (11)
Les aventures de Petitboutdpaind’épice
Chapitre 11 : Quinze pages d’Histoire.
Toute la classe se retourna. Petitboutdpaind’épice continuait gaiement de chanter, insensible au malaise qui avait envahi la salle. Les élèves étaient pétrifiés, car leur maîtresse leur avait recommandé de ne pas faire de bruit pendant que le directeur parlerait, sous peine de punition. Floriane était heureuse de revoir son oiseau et le caressait sous le bec dans l’espoir de le faire taire. Le directeur avait arrêté son discours sur les bonnes habitudes disciplinaires de la rentrée et ses sourcils froncés ne laissaient rien espérer de bon. Seuls, les cris joyeux d’un volatile se faisaient entendre. Espérant dissiper la lourdeur du silence qui venait de s’installer, la maîtresse alla jusqu’au bureau de Floriane et s’écria bien fort :
- Nous te souhaitons la bienvenue, Petitboutdpaind’épice !
Voyant madame Martin détendue, tous les élèves répétèrent en se précipitant vers l’oiseau :
- Nous te souhaitons la bienvenue, Petitboutdpaind’épice !
Le tapage était assourdissant. C’en était trop pour le directeur qui venait déjà, dix minutes après le début de cette première journée, de dépasser le seuil de la patience qu’il s’était promis d’exercer. Il tapa du pied d’un air rageur tout en époussetant gravement les boutons dorés de son veston à la mode dépassée de quelques siècles.
- Marysette ! cria-t-il par-dessus le vacarme, fais donc taire ta classe où je lui donne quinze pages à copier sur …
Monsieur Martin réfléchit un instant et s’exclama :
- … sur l’étude des mécanismes internes et externes de la manipulation des caisses à outils à travers les âges !
Les élèves se turent et regagnèrent leurs places à la hâte. La maîtresse soupira. Il était inutile de raisonner le directeur lorsqu’il s’emportait de cette manière. Du reste, tout le monde savait qu’il fallait être parfaitement silencieux lorsque le directeur faisait son discours de rentrée. Seul, Petitboutdpaind’épice l’ignorait. Monsieur Martin se radoucit soudainement.
- Bien, tout est en ordre. Seul l’élève qui a interrompu mon discours sera puni.
- Non ! s’écria Floriane en serrant Petitboutdpaind’épice près de son cœur.
Le petit oiseau avait cessé de chanter. Tournant la tête de façon saccadée, il scrutait le directeur. Celui-ci se rapprocha des deux êtres qui se protégeaient mutuellement avec calme.
- Le fautif doit être puni, répéta le directeur d’un ton très doux.
- Je copierai les lignes des caisses à outils externes à sa place, dit Floriane sans lâcher son oiseau.
Monsieur Martin fit un très gros effort pour ne pas perdre patience.
- Il s’agit de l’étude des mécanismes internes et externes de la manipulation des caisses à outils à travers les âges, tonna-t-il, et Petitboutdpaind’épice n’échappe pas aux punitions s’il se rend coupable d’un délit. Dans notre cas, il a interrompu mon discours. Je ne peux pas faire d’exception.
Malgré les larmes qui roulaient sur les joues de la fillette, le directeur prit délicatement Petitboutdpaind’épice qui s’accrocha à l’un de ses doigts et sortit.
A l’heure de la récréation, Floriane se précipita la première hors de la salle de classe pour se poster sous les fenêtres du bureau du directeur. Les gouttes de pluie l’empêchaient de distinguer quoi que ce soit à l’intérieur de la pièce, alors elle se faufila par l’ouverture de la porte. Monsieur Martin ne fit pas attention à la fillette. Penché sur son bureau envahi de gros volumes ouverts, il écrivait. Petitboutdpaind’épice était posé devant lui, une assiette pleine de graines disposée à son intention.
Soudain, Floriane sursauta. Sa maîtresse se tenait près d’elle et lui indiquait la sortie.Une fois dans la cour de récréation, la fillette supplia madame Martin de l’aider à récupérer son oiseau.
Cette dernière se pencha vers son élève en souriant :
- Comme tu peux le constater, il est en parfaite sécurité. De plus, avais-tu pensé à lui prendre de quoi manger pendant l’école ?
Elle secoua le tête :
- Non, je lui ai juste apporté son couffin.
La maîtresse reprit sur le ton de la confidence :
- Mon mari est un ami des oiseaux. Fais-lui confiance…
Lorsque monsieur Martin jugea la punition terminée, il ramena Petitboutdpaind’épice à Floriane.
- Voilà, dit-il avec satisfaction en montrant à la classe quinze pages de papier noircies d’encre, l’oiseau à fait son devoir. J’attends que vous en fassiez tout autant et que vous obéissiez à votre maîtresse ! Du reste, sachez combien il est intéressant de comprendre les mécanismes internes et externes de la manipulation des caisses à outils à travers les âges.
Etonnés, les élèves regardèrent les quinze pages qui circulaient dans les rangs. L’écriture liée et impeccable de monsieur Martin était facilement reconnaissable. Enthousiaste, le directeur se mit à faire le compte-rendu complet de ce que cette étude lui avait enseignée. Floriane l’écoutait à peine : elle regardait Petitboutdpaind’épice qui gonflait ses plumes et les dégonflait. Monsieur Martin parlait avec des gestes grandiloquents de son intérêt pour la praticité des caisses à outils actuelles tout en augmentant le volume de sa voix sonore. Un instant plus tard, Petitboutdpaind’épice complétait cet exposé d’un piaillement joyeux :
- C’est la rentrée !
Un silence angoissé envahit la salle. Mais, au grand soulagement de toute la classe, le directeur s’exclama :
- Parfaitement, monsieur l’oiseau, les rouages des caisses à outils sont très performants à l’heure actuelle, je n’aurais pas dit mieux ! Vous savez votre leçon !
La classe éclata de rire, puis se calma soudainement. Elle fut tout de suite rassurée : monsieur Martin venait de partir d’un gros rire sonore jamais entendu. Alors, l’un après l’autre, les enfants s’intéressèrent aux propos du directeur qui se mit à répondre à leurs questions. Pour la première fois, monsieur Martin admettait que ses élèves puissent dialoguer avec lui. Floriane souriait. Petitboutdpaind’épice pépiait.
Avec calme et ordre, la journée s’acheva. La maîtresse rangea ses livres de conjugaison. En cette première journée de rentrée scolaire, les élèves avaient appris l’Histoire de la caisse à outils à travers les âges…
(A suivre début octobre)
Les aventures de Petitboutdpaind’épice (10)
Les aventures de Petitboutdpaind’épice
Chapitre 10 : C’est la rentrée !
D’un bout à l’autre de la maison, Petitboutdpaind’épice n’entendait que cette courte phrase exclamative :
- C’est la rentrée !
Bien sûr, il ne savait absolument pas ce qu’elle voulait dire, car il n’en percevait que les sons, mais l’enthousiasme débordant que cette suite de cris entraînait faisait naître en l’oiseau une excitation particulière. Il s’agitait autant que Floriane qui parcourait les pièces et les couloirs en moulinant des bras. Celle-ci confia à sa mère combien elle était heureuse de revoir sa maîtresse, madame Martin.
- Tu n’oublieras pas de remercier son mari, le directeur. Il est très gentil d’accueillir ton petit oiseau dans son établissement.
Floriane acquiesça et continua ses allées et venues en répétant son refrain :
- C’est la rentrée ! C’est la rentrée !
En réalité, les enfants de l’école primaire n’avaient école que le lendemain, mais la fillette était impatiente d’y aller avec son petit oiseau.
Petitboutdpaind’épice continuait d’écouter les sons de ce refrain qu’il connaissait par cœur. Il voulut imiter les intonations de Floriane. Hélas, les sons qui sortirent de son bec ne ressemblaient en rien à ceux émis par la fillette. Il se mit à s’entraîner.
- Quelle cacophonie ! s’écria Rosalie qui descendait l’escalier à ce moment-là, on ne s’entend plus penser dans cette maison.
La sœur aînée de Floriane caressa Petitboutdpaind’épice qui venait de se poser sur la poignée de la porte de la cuisine.
- Tu seras bien sage à l’école, n’est-ce pas ?
Pour toute réponse, l’oiseau essaya de crier :
- C’est la rentrée !
Encore raté. Il était loin d’être au point. Ses cris devenaient même si étranges que le père des deux filles l’examina.
- Il ne semble pas malade, pourtant, affirma-il.
- Oh non, le rassura Floriane, il est tout plein de forme !
Son père sourit, comme à chaque fois que l’enfant laissait échapper une expression maladroite.
- On dit : il est en pleine forme, rectifia-t-il. Je trouve tout de même étrange que son chant habituel soit aussi peu reconnaissable.
Floriane fit une moue expressive. Elle plissa les yeux et ouvrit grand la bouche : signe qu’elle réfléchissait. Elle leva son index.
- Petitboutdpaind’épice a peut-être peur de la rentrée, dit-elle, je vais emmener son couffin à l’école pour le rassurer !
Elle remonta dans sa chambre où l’oiseau s’était réfugié pour s’entraîner à chanter le refrain de Floriane. Celle-ci le trouva perché sur le coussin du berceau d’enfant qui était près de la fenêtre.
Petitboutdpaind’épice ouvrit les yeux, ébouriffa ses plumes et se gonfla pour répéter après Floriane le refrain guilleret. Mais ses cris se firent plus étranges encore.
- Oh, Bout d’épice, dit l’enfant, il ne faut pas avoir peur de l’école, c’est très amusant, tu verras !
Et elle continua de chanter, décourageant sans le savoir le petit oiseau qui percevait encore d’autres sons dans la voix de ce petit être géant à qui il portait beaucoup d’affection. Soudain, il releva le tête et s’envola par la fenêtre.
- Reviens, supplia Floriane, nous ne devons pas être en retard pour notre premier jour d’école!
Madame Hugues prenait son café dans la véranda lorsqu’elle aperçut le volatile. Vite, elle courut mettre son chat Mitchou à la cuisine et accueillit Petitboutdpaind’épice qui se posa sur son avant-bras. Ce dernier pépiait :
- C’est la rentrée !
- Oh, s’alarma la voisine en s’asseyant, que t’arrive-t-il pour que ton chant soit aussi faux ?
L’oiseau continua de crier. Au bout de cinq minutes, madame Hugues sauta sur ses pieds. Petitboutdpaind’épice décolla en battant des ailes avant de se poser de nouveau sur le bras dodu.
- Je comprends ! Tu veux reproduire l’exclamation exacte que Floriane lançait dans son jardin hier soir !
Ce fut un cours de chant insolite. Madame Hugues claquait des doigts en rythme, tapait du pied et laissait des sons clairs et aigus s’échapper de sa gorge tandis qu’elle claironnait :
- C’est la rentrée !
Patiemment, la voisine lui apprit à pépier correctement la musique jusqu’à ce qu’il répète parfaitement les sons de Floriane.
La fillette marchait tristement à côté de ses parents avec le couffin. Son oiseau n’était pas revenu à temps pour le premier jour d’école. Certainement, il ne voulait pas aller en classe avec elle.
Tout le monde fut très déçu, car tous attendaient Petitboutdpaind’épice : le directeur, la maîtresse et tous les élèves. Une fois les retrouvailles faites et l’appel terminé, madame Martin réclama le silence.
- Le directeur va faire un discours, annonça-t-elle. Soyez respectueux et silencieux lors de son élocution. Ce serait en effet dommage de commencer l’année scolaire avec une punition !
Les élèves suivirent les consignes et écoutèrent monsieur Martin avec attention…
Lorsque Petitboutdpaind’épice revint à la maison, il trouva la fenêtre de Floriane fermée. En faisant le tour de la villa, il se rendit compte qu’il ne pouvait plus entrer. Il s’affola. Madame Hugues s’en rendit compte et l’amena elle-même à l’école. Après avoir frappé à toutes les salles de classe, on lui indiqua aimablement celle de Floriane. Collant son oreille contre la porte, elle entendit la voix du directeur qui s’adressait à ses élèves. Ne voulant déranger personne, elle entrouvrit la porte du fond et laissa discrètement l’oiseau s’envoler à l’intérieur.
Heureux de reconnaître Floriane, Petitboutdpaind’épice se posa sur la table face à elle, ébouriffa ses plumes et se gonfla, avant de lancer dans un joyeux piaillement mélodieux qui fit sursauter tout le monde, y compris le directeur :
- C’est la rentrée !
(à suivre dès le 15 septembre)
Les aventures de Petitboutdpaind’épice (9)
Les aventures de Petitboutdpaind’épice
Chapitre 9 : Les remords de monsieur Martin.
Monsieur Eugène Martin, un homme soigné à l’élégance désuète, essuya quelque grains de poussière accrochés à son veston blanc piqueté de boutons dorés tout en considérant la photo qu’il tenait à la main. En un mois de vacances amplement méritées, c’était la première fois qu’il daignait enfin y jeter un coup d’œil. En face de lui, sa femme guettait sa réaction tout en buvant son bol de café comme si de rien n’était. La cinquantaine, les joues déjà creusées de rides et les cheveux blancs, l’homme examinait l’image fixée sur le papier. Dans sa tête, les lettres, les mots, les phrases se formaient déjà. Il revenait sur sa décision. Cette ferme opposition injustifiée qui avait fait couler les larmes de l’une de ses élèves. Sans doute, l’oiseau avait pleuré lui aussi. Ce… Comment déjà ? Il releva la tête et sa femme sembla lire dans ses pensées.
- Petitboutdpaind’épice, dit-elle très vite.
Quel nom pour un oiseau ! Monsieur Martin bougonna. Il articulait tout bas, de façon inaudible, le discours qu’il comptait faire d’une minute à l’autre. Il mettait du cœur à l’ouvrage, sachant pertinemment que sa renommée était en jeu. Il est vrai qu’il s’était montré assez dur en cette fin d’année scolaire, époque où il était bien prévisible de trouver des élèves loin d’être sensibles à la bienséance de l’éducation. La chaleur, l’épuisement d’une année de difficultés de toutes sortes, les responsabilités : le pauvre homme était à bout de forces. Ce mois de repos avait maintenant renouvelé sa vigueur et il avait enfin accédé à la demande de sa femme : regarder la photo. Voilà qu’il n’arrivait plus à s’en détacher. Cette fraîcheur enfantine et souriante, l’oiseau libre et heureux, perché sur le doigt de la fillette…
Pour la première fois depuis longtemps, alors qu’il frottait son menton velu avec ses doigts bien propres, il remit la bonté et l’écoute à l’ordre de ses priorités. Accueillir un oiseau dans une classe ! Tout d’abord, la réponse avait été non. Et pendant longtemps, le directeur de l’école Molière n’avait plus prêté aucune attention à cette demande farfelue. Que celle-ci provienne d’une enfant, passe encore ! Mais de parents ! Même leur voisine s’était déplacée !
Malgré tous leurs arguments, monsieur Martin avait fait preuve de fermeté. Cependant, quand la maîtresse elle-même était venue plaider en faveur de l’oiseau, expliquant que celui-ci pouvait enseigner les mathématiques à la classe de CM2, il n’avait pas osé répliquer. Sans accepter non plus. Il avait tout simplement décidé d’ignorer cette affaire. Et pendant trente jours, inlassablement, sa femme lui avait remis sous les yeux matin, midi et soir la fameuse photographie.
Soudain, il se mit à rire. Très fort. Il imaginait déjà la réaction de ses supérieurs. Lui, monsieur Eugène Martin, le plus renfrogné des directeurs d’école primaire, toujours à marmonner entre ses dents lorsqu’un de ses élèves lui marchait par mégarde sur le pied, ce qui arrivait une vingtaine de fois par jour en période scolaire parce qu’il devait traverser la cour de récréation à 10 h précises tous les matins à cause de ses rendez-vous professionnels…, il frotta ses chaussons l’un contre l’autre à ce souvenir. Les hématomes avaient disparu et il en soupirait de soulagement. Il en avait assez, de la pommade.
Aujourd’hui, il se sentait d’humeur guillerette. Était-ce parce qu’il se préparait pour la première fois à changer d’avis ? Était-ce parce qu’il dérogeait à ses principes pour que son élève et l’oiseau ne pleure plus ? Si cette élève pouvait enfin comprendre ses leçons de mathématiques…
A l’autre bout de la table, sa femme avait terminé de boire son café et le regardait fixement. D’habitude, il ne supportait pas ce regard qui le faisait immédiatement changer d’avis et il détournait la tête. Justement, aujourd’hui, ce n’était plus comme d’habitude. Il trépignait même d’impatience pour faire son discours. Sa femme, silencieuse, étonnée de ce que son mari enfin la regarde avec cet amour qui lui avait fait défaut pendant si longtemps, semblait attendre le verdict.
Il énonça alors très distinctement :
- Ma chérie, tu auras un élève de plus à la rentrée cette année. Un élève très particulier…à plumes ! Je vais lui téléphoner moi-même pour lui annoncer la nouvelle !
Il partit à nouveau d’un très grand éclat de rire et sa femme se joignit à lui tandis que le soleil brillait de tous ses feux, éclaboussant la salle à manger de lumière et de bonheur…
( suite à retrouver dès la rentrée scolaire…)
Les aventures de Petitboutdpaind’épice (8)
Chapitre
8 : De si beaux pétales de rose…
Lorsque Petitboutdpaind’épice chanta gaiement à cinq heures et demie ce matin-là, ce fut un concert de grognements. Rosalie poussait des exclamations indignées depuis sa chambre et Floriane grondait son petit oiseau depuis son lit, recroquevillée sur ses draps et la tête à moitié enfouie dans son coussin. Rien n’y fit. Petitboutdpaind’épice, heureux de vivre, essayait de leur communiquer son enthousiasme. Il se percha sur la fenêtre entrouverte et, au grand soulagement de la maisonnée, il s’envola dans le jardin.
L’air était encore bien frais ; le jour se levait à peine. Déjà, les lueurs de l’aube caressaient les pétales des roses qui ornaient le massif encore dans l’ombre au milieu du jardin. L’oiseau, émerveillé, se posa non loin de là. Il tourna la tête sur la droite, puis sur la gauche. Soudain, une énorme tache noire et blanche bondit sur lui. En poussant un cri rauque, il échappa de justesse aux griffes de l’animal qui miaula férocement, et se réfugia dans un pin aux longues aiguilles vertes qui brillaient dans les premiers rayons du soleil. Secoué par sa mésaventure, percevant les chants des autres oiseaux, Petitboutdpaind’épice donna de la voix. Brusquement, sans qu’il sût d’où elle sortait, la tache noire bondit de nouveau sur lui. Incapable de réagir, paralysé de frayeur, il poussa un cri en direction de sa maison avant de se sentir soulevé et bloqué par d’énormes tubes blancs. Son petit cœur battait. Il avait peur. Il aurait voulu retrouver son nid douillet, là-haut dans la chambre. Mais il ne pouvait pas fuir…
Mitchou, le chat de madame Hugues, la voisine, ne relâcha pas son prisonnier avant de l’avoir montré à sa maîtresse. Celle-ci prenait son café dans la véranda. En voyant arriver le petit félin blanc et noir avec sa prise, elle lâcha sa tasse qui se fracassa sur le sol. Apeuré, Mitchou desserra les dents et, en fuyant, laissa tomber Petitboutdpaind’épice par terre. Madame Hugues se précipita aussitôt vers le petit oiseau qui ne bougeait plus. Délicatement, elle le souleva et le plaça sur son journal pour l’examiner.
- Bout d’épice ! l’appela doucement la voisine en se souvenant du surnom que lui avait donné Floriane. Bout d’épice !
L’oiseau ne bougeait toujours pas. Ses yeux étaient fermés, son plumage mouillé. L’une de ses ailes pendait sur le côté. Madame Hugues ne se perdit pas en réflexion. Elle sortit dans la rue avec le papier journal et arriva devant le nouveau cabinet vétérinaire qui venait de s’ouvrir. Il était fermé. Evidemment ! Il était encore bien trop tôt ! Elle n’avait pas pensé à ce détail. Elle allait rebrousser chemin, lorsqu’elle vit un courrier dépassant de la boîte aux lettres. Une adresse était mentionnée, qui n’était pas celle de la rue où elle se trouvait. Madame Hugues, tout en tenant précautionneusement son petit protégé, traversa la moitié de la ville à pied. Elle se perdit bien des fois, cherchant sa direction, n’hésitant pas à frapper aux portes. Deux personnes, puis quatre, bientôt six, puis huit, enfin dix, puis quinze, lui emboîtèrent le pas, bien décidés à soutenir cette dame sûre d’elle à la carrure impressionnante. La maison du vétérinaire était perdue aux abords de la ville, sur une petite route qui n’était pas même située sur les cartes. Et pour cause, ce n’était pas une route, mais un étroit sentier sinueux qui se rétrécissait au fur-et-à-mesure que l’on approchait de la demeure…
- Je m’embourbe ! cria soudain madame Hugues.
En effet, ses bottes venaient de s’enliser et elle enfonçait. Tous se précipitèrent.
- Vous n’avez donc pas vu la flaque d’eau ? s’écrièrent ses compagnons de voyage.
- Bien sûr que je l’ai vue, s’énerva madame Hugues.
On l’aida à sortir du trou. Tremblante et chancelante, la terre collée sur les vêtement, elle vérifia si Petitboutdpaind’épice était toujours dans le journal. Il n’y était plus !
- Oh non ! cria madame Hugues.
Tous se mirent aussitôt à la recherche de l’oiseau sans hésiter à regarder le long du sentier en s’enfonçant eux-aussi dans la boue. L’un de ceux qui étaient là, un homme maigre au visage bienveillant, trouva Petitboutdpaind’épice au sec dans une touffe d’herbe. Ruisselants, tous se réjouirent. Mais madame Hugues se remettait en route.
- Allons-y ! Dépêchons ! cria-t-elle en remettant l’oiseau dans le journal. Continuons !
- Ce petit volatile demande des soins, protesta l’homme.
- Justement, en route ! dit-elle sans même l’écouter.
- Prenons ce raccourci, proposa l’homme.
Madame Hugues ne l’entendit pas de cette oreille. Alors, d’un geste, l’homme attrapa le journal.
- Vous n’avez pas le droit ! protestait madame Hugues en faisant de grands gestes tout en se mettant à courir derrière lui.
- Il faut soigner cet oiseau, répliqua l’homme.
- Vous ne prenez pas le bon chemin !
- Je sais où je vais, répliqua-t-il d’un ton sec.
Tous le suivirent. Ebahie, madame Hugues, les cheveux en bataille, constata qu’en effet ils arrivaient sans encombre à la maison du vétérinaire.
- Je vais le prévenir ! dit madame Hugues qui partait enjamber la clôture.
- Il est déjà prévenu, répondit l’homme poussant le portail.
- Vous êtes de sa famille ?
L’homme ne répondit pas et se hâta de pénétrer à l’intérieur de la maison, suivi des habitants de la ville.
- Je m’appelle docteur Broux, se présenta-t-il enfin en posant délicatement l’oiseau sur une table basse. En vous voyant arriver de loin, j’ai cru mon devoir de vous rejoindre sur le sentier. J’avais en effet pensé à une urgence.
Madame Hugues faillit tomber par terre.
- C’est vous le vétérinaire !?
Reconnaissante, madame Hugues sourit et se laissa tomber sur une chaise. Elle se releva aussitôt.
- Comment va Bout d’épice, docteur ? demanda-t-elle comme monsieur Broux fronçait ses sourcils. Est-il…
- Non. Il est vivant.
Soulagée, madame Hugues se mit à sangloter doucement.
- C’est à cause du chat…
- Les chats obéissent à leurs instincts, dit monsieur Broux en ouvrant une trousse médicale.
Une heure après, madame Hugues frappait à la porte de la maison de Floriane. Petitboutdpaind’épice, qui avait simplement été paralysé par l’émotion, était joyeusement perché sur son index, en pleine forme. Il n’attendit pas que la porte s’ouvre et s’envola en direction de son nid douillet dans la chambre de Floriane. Madame Hugues n’insista pas. Fatiguée, les vêtements sales, ainsi que ses cheveux, elle se dirigea vers sa propre maison. Mitchou arriva, content de la retrouver. Elle ne songea pas à le gronder. Au contraire, elle l’attira à elle en pleurant de joie et de soulagement dans sa fourrure soyeuse. Un ronronnement lui répondit bientôt…
Floriane était bien réveillée lorsque son oiseau revint.
- Alors, tu t’es bien promené ? lui demanda-t-elle. Tu as vu ? Les roses sont très jolies ce matin.
Mais Petitboutdpaind’épice n’avait plus envie d’aller admirer les fleurs. Il se pelotonna dans sa couverture moelleuse et ferma les yeux à la grande indignation de Rosalie.
- Maintenant qu’il nous a bien réveillées, il se rendort ! rouspéta cette dernière.
Mais Floriane caressa le plumage bien sec de son oiseau.
- Il a besoin de dormir, alors laissons-le…
(Suite dès le 08 août )
Les aventures de Petitboutdpaind’épice (7)
Que se passait-il donc ? Pourquoi tant d’agitation et de cris ? L’ambiance était pourtant joyeuse… Petitboutdpaind’épice essayait de suivre Floriane qui courait dans toute la maison en agitant les bras. Les petites ailes de son oiseau lui répondaient de la même manière. Elle portait avec elle quelque chose de très étrange ; quelque chose de bien plus gros que lui qu’elle faisait tournoyer en l’air. Et la fillette courait çà et là, en criant et en gesticulant. Enfin ! Lorsqu’elle eut posé la chose étrange, Petitboutdpaind’épice s’empressa d’aller y regarder de plus près. C’était rectangulaire. L’oiseau se percha sur le dessus et risqua un œil à l’intérieur. Comme il n'y voyait pas grand-chose, il s’aventura un peu plus loin… et tomba dedans.
Floriane était habituée maintenant à ce que son oiseau disparaisse mystérieusement. Il devait être caché dans quelque recoin de la maison. Ses parents la pressaient : il ne fallait pas être en retard pour le dernier jour d’école. La fillette ramassa son cartable et leur emboîta le pas.
Bien que soudainement balloté, Petitboutdpaind’épice ne s’inquiéta pas davantage. Il n’avait rien à craindre. On viendrait certainement très vite le délivrer de sa cachette qui l’avait emprisonné. Il s’installa donc très confortablement et attendit.
Les fenêtres ouvertes laissaient entrer dans la salle des parfums de fleurs et la chaleur les enveloppaient. Ils trépignaient, assis sur leurs chaises, attendant le signal de la fin de la leçon et celui du début des vacances.
- Enfin ! s’énerva la maîtresse, combien font six que je multiplie par quatre et que je divise par deux ?
Aucune réponse audible ne fut énoncée dans la classe. Le coude appuyé sur la table, le visage penché sur sa feuille, Floriane somnolait presque.
Dans le cartable accroché à la chaise, Petitboutdpaind’épice commençait à s’agiter. Quand donc allait-on venir le chercher ? C’en était trop. Grimpant le long d’un perchoir improvisé, il se retrouva à l’air libre et se rendit compte qu’il y avait plein de petits êtres géants comme sa chère Floriane autour de lui. De stupéfaction, l’oiseau émit un cri très sonore !
Les élèves se levèrent d’un bond, crièrent de joie et saluèrent le signal de ce début de grandes vacances en s’éjectant hors de la salle.
- Non, non ! cria la maîtresse, revenez !
Seule, Floriane n’avait pas bougé. Elle contemplait son petit volatile.
- Tu étais dans mon cartable ! murmurait-elle toute heureuse en le serrant contre son cœur.
- Que fait cet oiseau ici ? demanda la maîtresse quand elle put articuler un son.
- Petitboutdpaind’épice est un explorateur, expliqua la fillette, il a pris mon cartable pour une grotte.
Comme pour lui donner raison, « l’explorateur » émit une série de petits cris. Il recommença, recommença encore : Cui, Cui, Cui !
La maîtresse était désemparée ; tous ses élèves s’étaient enfuis à cause de cet oiseau. Après avoir prévenu le directeur de l’incident, elle partit d’un pas lent à son bureau derrière lequel elle s’installa pour enfouir sa tête dans ses mains.
Floriane prit Petitboutdpaind’épice sur son index et vint la rejoindre.
- C’est parce que nous n’avons pas réussi l’opération de mathématiques que vous pleurez ? demanda poliment la fillette.
- Non ! C’est à cause de cet oiseau !
Petitboutdpaind’épice sauta du doigt de Floriane pour piqueter de son bec le visage ruisselant de larmes de la maîtresse.
- Il vous aime bien.
Madame Martin se redressa et sourit faiblement. La fillette claqua dans ses doigts pour que Petitboutdpaind’épice émettent de petits piaillements.
- Voyez, dit-elle, à chaque fois, il pousse un cri.
A cet instant, penauds, tous les camarades de Floriane rentrèrent dans la salle sous la conduite du directeur. Le visage de la maîtresse s’éclaira et elle gronda gentiment ses élèves. Ceux-ci restèrent émerveillés à la vue de l’oiseau et chacun voulut le caresser. Puis madame Martin ordonna que tous reprennent leur place.
- Bien, s’écria-t-elle lorsque le directeur fut reparti, combien font six que je multiplie par quatre et que je divise par deux ?
De nouveau, les têtes se baissèrent et les élèves se concentrèrent exagérément sur leurs cahiers. Mais Floriane était toute ragaillardie par la présence de Petitboutdpaind’épice à l’école. Elle claqua doucement des doigts. L’oiseau répondit immédiatement.
- Cui ! Cui ! Cui ! Cui ! Cui ! Cui ! Cui ! Cui ! Cui ! Cui ! Cui ! Cui !
Une à une, les têtes de ses camarades se relevèrent et des doigts pointèrent vers le plafond.
- Douze, ça fait douze ! crièrent-ils en chœur alors que Petitboutdpaind’épice, gagné par l’ambiance joyeuse qui régnait tout à coup, chantait de plus belle. La maîtresse félicita la classe et l’oiseau tout en faisant un clin d’œil à Floriane. Elle souriait, tout en continuant les exercices, et souhaita ensuite de bonnes vacances à tous ses élèves. A sa grande stupéfaction, lorsque la cloche sonna, aucun élève ne bougea. Il fallut que Petitboutdpaind’épice se remette à chanter pour que tous se précipitent enfin dehors comme un seul homme. Floriane se joignit à eux après avoir dit au revoir à une madame Martin joyeuse et comblée.
La mère de Floriane rit beaucoup en entendant le récit de sa fille. Elle regretta néanmoins sa propre réaction irréfléchie:
- Peut-être Petitboutdpaind’épice pourrait-il venir à l’école avec toi à la rentrée, venait-elle de suggérer.
- Oh oui ! s’exclama Floriane.
C’est ainsi que, quelques minutes plus tard, tandis que leur fille et son oiseau couraient et volaient de ci de là, heureux et libres en cette veille de vacances, les parents de Floriane se rendaient auprès du directeur, eux-mêmes surpris par leur propre démarche…
(Suite dès le 19 juillet)
Les aventures de Petitboutdpaind’épice (6)
Les aventures de Petitboutdpaind’épice
Chapitre 6 : Des cartons et une épuisette.
Ce matin-là, Petitboutdpaind’épice n’avait pas chanté. La nuit avait été plutôt mouvementée et il avait bien mérité un peu de repos. Perché sur le rebord de son couffin, son frêle corps à moitié caché par la couverture, il sommeillait. Ses yeux étaient clos, sa tête si penchée qu’elle semblait tomber en avant. Heureusement, ses griffes étaient bien resserrées et accrochaient parfaitement son si douillet perchoir. L’oiseau semblait content : peut-être rêvait-il encore de tous les compliments qu’on lui avait fait tout à l’heure ? Peut-être repassait-il sa folle nuit dans sa tête ?
Les jeux, les rires, la chaleur, l’excitation…, la journée de la veille avait été riche en émotions. Il avait suivi Floriane dans tous les recoins de la maison et même ceux du jardin. Tous les deux avaient construit une cabane. Petitboutdpaind’épice s’était fait un plaisir de collecter des brindilles que la fillette avait disposées sur le sol de l’abri fait de carton et d’un drôle de truc tout en haut. Il avait couru, ou plutôt volé d’un côté, de l’autre, d’un côté de l’autre, et ce, toute la journée. Lorsque, enfin, tout ce travail avait été terminé, quel bonheur ç’avait été de visiter l’étrange logis ! Peu à peu, la nuit était tombée et toute la famille était partie se coucher. La lune était montée bien haut dans le ciel tandis que la maisonnée baignait dans la quiétude et la tranquillité. Rien n’avait semblé pouvoir troubler le repos des travailleurs fatigués. Et pourtant…
Vers le milieu de la nuit, Petitboutdpaind’épice avait été tiré de son sommeil. Des sons malheureux, plaintifs, étouffés, lui étaient parvenus. Tout d’abord, l’oiseau avait cru à un volatile de nuit qui faisait sa ronde au-dehors. Puis, les sons s’étaient faits plus proches. Quelque chose bougeait quelque part tout près de lui, dans la chambre même de Floriane. Mais qui ? Quoi ? Les sons s’étaient amplifiés. Petitboutdpaind’épice, quoique peu rassuré, devait assurer la protection de la fillette. Il avait choisi d’ouvrir les yeux... Et ce qu’il avait vu l’avait terrifié : une masse sombre, géante et qui semblait l’engloutir, s’était dressée devant lui ! Elle avait prise toute la place libre de la chambre. Il avait voulu crier, mais aucun son n’était sorti de son bec. Immobile, il avait considéré l’ennemi en silence. Il fallait rejoindre Floriane, savoir si elle allait bien et la défendre contre cet horrible intru. Comment celui-ci avait-il pu pénétrer dans la maison ? Cela restait un mystère pour le petit oiseau. Il avait desserré l’étreinte de ses griffes de son couffin et avait levé une patte, puis l’autre. Il avait ouvert une aile, puis l’autre. Sans bruit, tel une chouette, il s’était élevé dans l’air et avait survolé doucement la masse inquiétante. Soudain, il avait été stoppé net par un fil. Il venait de se faire piéger !
Petitboutdpaind’épice était tombé sur la tête de la masse qui, il l’avait bien compris, ne lui voulait aucun bien. Il s’était débattu, mais n’avait réussi qu’à s’emmêler davantage dans le filet. De nouveau, il avait voulu crier, mais aucun son n’était sorti de lui. Englouti, englouti comme un insecte dans une toile d’araignée ! Le sol s’était dérobé sous lui, des frottements puis des claquements s’étaient fait entendre, suivis un énorme fracas. La nuit l’avait complètement enveloppé. Avalé. Qu’allait devenir Floriane ? Allait-elle finir comme lui elle aussi ? Désolé, découragé, de n’avoir pas su protéger la fillette dont il prenait tellement soin, il avait baissé la tête et avait laissé son pauvre corps épuisé s’effondrer sous lui. Tout à coup, la lumière avait jailli…
C’avait été Floriane, qui, la première, avait soulevé le carton retenant prisonnier son petit oiseau. Elle l’avait pris et l’avait serré contre elle.
- Pardon, pardon, Bout d’épice, avait-elle sangloté, maman avait dit que la cabane devait être construite au jardin, mais nous ne l’avons pas écoutée et l’avons mise dans ma chambre. Tu t’es pris dans l’épuisette qu’on avait mise pour faire la cheminée et notre maison s’est effondrée.
Le petit volatile, qui avait peiné à se remettre de ses émotions jusqu’alors, avait considéré la famille réunie autour de lui.
- Tu es un brave oiseau, lui avait dit le père.
- Un bon gardien, lui avait dit la mère,
- Un bavard qui nous fait du bien, avait renchéri Rosalie.
- Le meilleur Bout d’épice qu’on ait jamais vu, avait approuvé Floriane. Si tu n’avais pas fait tout ce bruit, je serais encore en train de faire mon cauchemar et papa et maman ne seraient pas venus me réveiller pour me rassurer.
Les félicitations avaient plu, les câlins aussi. Lorsque l’oiseau avait compris que tout allait bien, il s’était pelotonné contre Floriane qui avait ri aux éclats.
Maintenant, tout était calme et silencieux. La cabane avait été installée au jardin cette même nuit. Petitboutdpaind’épice, soulagé et heureux de constater qu’il n’y avait jamais eu d’intrus, s’était rendormi profondément. C’est ainsi que ce jour-là, aucun chant d’oiseau, (hormis ceux qui provenaient, lointains, de l’extérieur), ne réveilla la maisonnée à six heures du matin…
(à suivre dès le 1er juillet)
Les aventures de Petitboutdpaind'épice (5)
Les aventures de Petitboutdpaind'épice
Chapitre 5 : Un réveil en fanfare.
La maisonnée se réveilla en sursaut. Les cris de l'oiseau étaient très sonores. Petitboutdpaind'épice chantait gaiement à 6 heures du matin ! Il avait bien dormi, pelotonné dans les couvertures brunes du berceau. Il était prêt à commencer la journée !
Floriane se frotta les yeux. Toute sa famille était dans sa chambre et regardait celui qui les avait tirés de leur sommeil.
- Ce n'est pas possible ! disait Rosalie. Il ne va pas chanter tous les matins ! Je vais le donner à la voisine !
Sa petite sœur poussa un cri.
- Ne t'inquiète pas, Floriane, dit aussitôt son père. Rosalie ne fera rien du tout.
- J'ai une interrogation de maths, moi ! s'insurgea celle-ci en criant plus fort que Petitboutdpaind'épice qui, ravit d'avoir un auditoire aussi participatif, chantait de plus belle.
- Nous allons trouver une solution, dit fermement la maman de Floriane.
La fillette s'était levée et rapprochée de son oiseau. Il frétilla et se percha sur sa main.
- Il me souhaite simplement un joyeux anniversaire ! dit-elle.
Toute la famille poussa des cris si consternés que Petitboutdpaind'épice, battu à plate couture dans les décibels, cessa de chanter. Il tourna la tête de façon saccadée pour essayer de comprendre ces drôles de piaillements.
- Ma chérie ! soupira sa mère en lui caressant ses longs cheveux blonds et dorés qui luisaient à la lueur naissante de l'aurore, nous étions si absorbés par les cris de Bout d'épice que nous avons oublié de te le souhaiter.
Lorsque tout le monde fut retourné se coucher, Floriane gronda son petit oiseau.
- Il ne faut pas faire du bruit si tôt ! Sinon, tu ne pourras plus rester dans ma chambre. Tu ne voudrais pas dormir dans la véranda, n'est-ce pas ?
Le ton de sa voix était si doux que Petitboutdpaind'épice reprit confiance et accompagna les mots… de sa mélodie sonore.
Il fut décidé que l'oiseau aurait une belle cage à l'extérieur de la maison. Ainsi, la famille pourrait dormir plus paisiblement. Floriane était désolée. C'était la pire journée d'anniversaire de toute sa vie. Elle mit elle-même son petit oiseau à l'intérieur de la cage et remonta tristement dans sa chambre. Plus tard, elle se prépara pour l'école.
- Au revoir, Bout d'épice, murmura-t-elle tendrement. Il fait beau aujourd'hui, tu seras bien , là.
Petitboutdpaind'épice s'agita et cria misérablement en voyant Floriane partir sans lui. Il remua ses ailes et voulut la rejoindre, mais il heurta les longues tiges blanches très solides de la cage et retomba sur le sol recouvert de paille. Il attendit longtemps que la fillette revienne, mais elle tardait. Petitboutdpaind'épice tourna en rond, se posa sur l'un des nombreux perchoirs qui se balançaient et tourna de nouveau en rond, mais en sens inverse. Il picora quelques graines, but un peu d'eau, puis recommença son manège. Il n'était pas content. Pas content du tout ! Il ouvrit ses ailes et se précipita encore sur longues tiges blanches qui entouraient sa prison. Peine perdue. Elles étaient solides ! Autour de lui, d'autres oiseaux venaient le regarder, puis s'en allaient. Seul, il était seul. Un oiseau solitaire. La journée avait si bien commencé ! Il n'avait plus envie de chanter. Tout en faisant le tour de son logis, il passait une patte de temps en temps à l'extérieur de la cage, à travers les barreaux. Puis il passa sa tête. Ne restait plus que ses ailes et son corps. Il se fit petit, le plus mince possible. Au prix de nombreux efforts, il passa de l'autre côté des tiges blanches et tomba sur les pavés de la terrasse de la maison. Un peu sonné, il se redressa cependant et, voyant la porte ouverte, rentra à l'intérieur. Il fallait qu'il retrouve son petit nid du matin. Son petit nid à lui, dont il était le propriétaire. Une à une, il visita les pièces, se posa sur le divan, les chaises, les meubles, les armoires… Il explora tous les recoins de la maison. Soudain, il poussa un piaillement de joie. Une surface brune ! Il avait retrouvé son lit ! Petitboutdpaind'épice vola tout droit vers son but et se posa dessus. Oh ! Il enfonçait ! C'était bien étrange. Cela lui rappelait la boue du jardin de madame Hugues. On ne l'aurait pas, il ne s'enlisera pas. Ce n'était pas son lit. Il s'était trompé. Ouvrant ses ailes toutes grandes, l'oiseau réussit à s'envoler et reprit ses explorations. Plongeant dans les escaliers et sautillant sur le marches, il atteignit le palier du premier étage…
Floriane rentra de l'école et entra en trombe dans la maison pour passer directement au jardin. Elle poussa un cri.
- Bout d'épice n'est plus là ! cria-t-elle.
Sa maman resta consternée.
- Ma chérie, dit-elle, tu devrais aller voir le beau gâteau que je viens de te préparer à la cuisine, dit-elle pour la consoler.
Floriane, dont les joues ruisselaient de larmes, se laissa entraîner. Sur la table, il y avait un énorme gâteau au chocolat avec un gros trou sur le dessus.
- Oh ! s'écria sa mère, que s'est-il passé ? Il était parfait il y a dix minutes !
Floriane examina le trou et remarqua des empreintes familières. Les mêmes que laissaient les pigeons au bord des flaques d'eau de la rivière, mais en beaucoup plus petit.
- C'est Bout d'épice ! cria Floriane toute excitée, il est passé par là !
La fillette n'eut pas à chercher longtemps la direction prise par son oiseau. Toutes les marches étaient salies de taches bien ordonnées de chocolat. Vite, elle se précipita dans sa chambre et hurla de joie.
Petitboutdpaind'épice se réveilla en sursaut dans son berceau. Toutes ces émotions l'avaient épuisé et il s'était endormi. Lorsqu'il reconnut Floriane, il agita ses petites ailes de contentement.
- Mon petit oiseau, mon petit oiseau, sanglotait la fillette tout doucement en le débarrassant de la crème gluante qui séchait sur ses pattes et son ventre. Tu as retrouvé ton lit !
Peu après, toute la famille se rassembla autour de la table pour fêter l'anniversaire de Floriane. Madame Hugues fut elle aussi conviée et Petitboutdpaind'épice volait d'un convive à l'autre pour manger les miettes qu'on lui donnait. Le soir, il refusa tout net de regagner sa cage, agrippant obstinément la couverture brune du berceau.
- Je refuse d'être encore réveillée à six heures du matin ! s'écria Rosalie.
- Que faire ? demanda la mère des deux filles qui évitait le regard suppliant de Floriane qui voulait tant que son oiseau dorme près d'elle !
Le père regarda sa plus jeune fille avec compassion.
- Voilà ce que nous allons faire. Puisque nous avons accueilli ce petit Bout d'épice sous notre toit, eh bien, nous allons nous adapter à lui. Tout le monde ira se coucher plus tôt, voilà tout !
Floriane cria de joie et sauta au cou de son papa, de sa maman et même de sa sœur qui bougonnait. Puis elle se tourna vers le petit oiseau :
- Pain d'épice ! Tu seras notre réveille-matin !
Pendant plusieurs jours, très tôt, Petitboutdpaind'épice se dressa sur le bord de son berceau en chantant. Seule Rosalie enfouissait la tête sous ses couvertures en hurlant plus fort que l'oiseau qui pépiait alors de plus belle.
Un matin cependant, aucun bruit ne réveilla la famille…
( à suivre dès le 15 juin )
Les aventures de Petitboutdpaind'épice (4)
Floriane tenait entre ses mains les lunettes de soleil de madame Hugues avec d'infinies précautions. Posé sur l'un des verres, Petitboutdpaind'épice ne cessait de pépier en admirant son reflet. Comme il remuait très souvent, la fillette gardait les yeux fixés sur lui. Elle trébuchait à chaque pas sur les cailloux qui bordaient la rivière. Madame Hugues s'en aperçut et dirigea elle-même Floriane.
- Un pas sur la gauche, un autre sur la droite ! Un pas de côté, un pas de l'autre côté !
A aucun moment la fillette n'eut à quitter son oiseau des yeux grâce au dévouement de sa voisine qui la tirait et la poussait dans tous les sens.
Petitboutdpaind'épice était excité : le petit être sous lui manifestait une reconnaissance évidente envers celui qui l'avait sauvé. Il sautait avec lui, dansait comme lui, ouvrait ses ailes… Même s'il faisait tout à l'envers et sous lui. Le petit être tenait à rester mystérieusement la tête en bas. Il fallait y remédier : Petitboutdpaind'épice voulait lui parler face à face. Hélas, il eut beau faire de gros efforts pour inviter son petit frère près de lui, celui-ci s'entêtait à garder tête en bas. C'était navrant.
Floriane soupira d'aise. Son oiseau venait de se calmer. Toujours posé sur l'un des verres de la paire de lunettes, il restait immobile.
- Bout d'épice ! l'appela-t-elle, inquiète. Bout d'épice ! Madame Hugues ! Bout d'épice ne bouge plus !
- Oh ! s'écria la voisine, il a dû attraper froid avec son bain, installe-le donc à nouveau dans les replis de mon tee-shirt.
Avec horreur, Petitboutdpaind'épice se senti soulevé et enlevé loin du petit être. Il remua en tous sens, mais quelque chose l'étreignait si fortement qu'il ne pouvait même plus remuer une aile. Pour finir, il se retrouva dans le noir. Il pépia misérablement.
- Ah, dit madame Hugues, s'il bouge, c'est qu'il va mieux que nous le pensions. Dépêchons-nous de rentrer : nous le mettrons dans la cage à oiseaux vide dans mon salon, le temps qu'il se rétablisse entièrement.
- Je préfèrere le garder avec moi, objecta Floriane. Il sera malheureux, si nous l'enfermons.
- S'il est faible, le chat pourrait le trouver. Non, il sera mieux dans la cage.
- Oh non ! Je veux le garder avec moi ! répéta Floriane.
La voisine soupira.
- Après tout, il semble qu'il se soit attaché à toi. Prends-le donc.
Enfin ! Il retrouvait l'air libre ! Petitboutdpaind'épice battit des ailes et s'envola dans un arbre.
- Nous l'avons perdu ! gémit Floriane.
- Au contraire, il cherche sa liberté. Ne l'en privons pas.
Madame Hugues remit ses lunettes sur son nez et se mit en devoir d'escalader la barrière en passant par-dessus comme la première fois.
- Oh non, s'écria-t-elle en se retrouvant perchée sur le bois, me voilà de nouveau coincée ! Je n'arrive plus à redescendre.
Floriane, qui s'était faufilée sous la barrière, cherchait son petit oiseau. Elle l'avait encore perdu. Elle songea que peut-être l'oiseau ne l'aimait pas… Floriane renifla tristement à cette idée et en fit part à sa voisine.
- Ne racontes pas de sottises ! s'exclama-t-elle. Aide-moi plutôt à redescendre. Mais Floriane eut beau essayer de pousser et de tirer madame Hugues, celle-ci restait sur sa barrière.
- J'ai le vertige, gémit-elle. Je ne peux pas regarder le sol.
- Je vais chercher Bout d'épice, dit Floriane, il nous aidera !
- Encore des bêtises, grommela madame Hugues en s'accrochant à son rondin. Il ne répondra pas à tes sifflements ! Oh, non, je viens de perdre mes lunettes !
Petitboutdpaind'épice était perché sur une branche dont l'écorce rugueuse très découpée le picotait. Il avait perdu le petit être et regardait tout autour de lui. Des tas d'oiseaux virevoltaient autour de l'arbre, mais aucun ne ressemblait à son petit frère. Soudain, il reconnut des bulles sombres familières posées sur l'herbe. Il poussa un piaillement si sonore que Floriane et madame Hugues sursautèrent. Petitboutdpaind'épice fonça droit sur les lunettes, en frôlant au passage la voisine qui tomba de son perchoir. Floriane poussa d'aussi sonores cris de joie que son oiseau qui atterrit près de la monture.
- Bout d'épice ! Bout d'épice ! Tu m'aimes donc un peu ?
- Toujours des bêtises ! s'exclama madame
Hugues qui essayait de se relever péniblement. Mais la fillette s'accroupit
près de son oiseau qui dansait devant les verres.
- Je crois qu'il aime vos lunettes ! dit Floriane. Si je les portais, Bout d'épice me suivrait jusqu'à la maison et je pourrais prendre soin de lui.
Effectivement, Petitboutdpaind'épice ne la quitta pas d'un battement d'aile. Il venait de retrouver le petit être. Floriane portait l'oiseau sur son index et le tenait à la hauteur de son visage, à distance respectable pour éviter un éventuel coup de bec. Elle remontait régulièrement les lunettes sur son nez. L'oiseau la regardait droit dans les yeux. Il était si content ! Enfin, le petit être avait accepté de lui parler en face à face. Joyeusement agrippé sur son perchoir, il pépia et s'agita très fort.
Elles arrivèrent à l'intersection d'où un sentier menait directement chez Floriane. Madame Hugues la quitta pour retourner dans sa maison. Dans la pénombre de la pinède, Floriane se dirigea vers son propre jardin et s'éloigna peu à peu du sentier. Elle enleva les lunettes de sa voisine et, de sa main libre, les fourra dans sa poche.
- C'est mieux ainsi, s'exclama-t-elle, je n'y voyais plus rien !
Petitboutdpaind'épice s'accrocha à sa veste pour rester au plus près de son petit frère qui avait glissé dans quelque sombre endroit auquel il ne pouvait accéder. Floriane rit.
- Tu es rigolo ! s'exclama-t-elle.
Bientôt, elle s'interrogea : quelle était la direction à prendre pour retourner chez elle ?
Floriane ne reconnaissait plus son environnement. Elle avait dû prendre un mauvais chemin.
- Madame Hugues ! cria-t-elle, êtes-vous là ?
Le vent se leva. Peu à peu, les bourrasques se firent de plus en plus violentes. Petitboutdpaind'épice s'agrippait fortement à elle. C'était d'un grand réconfort. Au moins, il ne la quittait pas.
- Où sommes-nous ? lui demanda-t-elle avant de se laisser tomber, épuisée, au pied d'un arbre. Se ramassant sur elle-même, elle appuya sa tête sur ses genoux tout en caressant son oiseau. Elle se mit à l'observer. Peu à peu, elle s'amusa à recopier ses mouvements saccadés.
Petitboutdpaind'épice fut stupéfait : le petit être était devenu géant ! Sans qu'il sache comment, il venait de le retrouver. Tout correspondait : il faisait les même gestes que lui ! La fillette rit. L'oiseau accentua sa danse et elle fit de même. Soudain, il fut emporté par une bourrasque de vent.
- Bout d'épice ! hurla Floriane.
Elle fut vite rassurée : l'oiseau était posé sur une branche à côté d'elle. Celui-ci était bien décidé à braver tous les dangers pour protéger son petit être devenu géant. Peut-être avait-il faim ? Vite, il fallait lui trouver des graines sans le perdre des yeux ! Il fit plusieurs allers et retours et, voyant que Floriane le suivait, la mena jusqu'à la maison de madame Hugues. Celle-ci accourut :
- Ma petite ! Que fais-tu encore dehors par ce vent ?
- Je m'étais perdue, dit Floriane, mais Bout d'épice m'a conduite ici.
- C'est incroyable ! reconnut la voisine médusée.
Petitboutdpaind'épice s'impatientait. Que la dame aux graines était donc longue à donner à manger au petit être devenu géant ! Il se mit à picoter les manches de madame Hugues.
- Coquin ! s'exclama-t-elle, bien sûr, tu veux à manger ! Je t'ai tellement habitué à te donner des graines que tu n'as pas le réflexe d'en trouver tout seul ! Floriane, il faudra le lui apprendre.
Ravie, la fillette acquiesça. Elle observa son petit oiseau qui se tenait sur le rebord de l'assiette en la regardant.
- Mange, petit oiseau, dit-elle, c'est pour toi.
Mais il ne mangea pas. Ce fut seulement quand Floriane reçut un goûter de la part de madame Hugues qu'il se décida.
- Vite, la pressa la voisine, il faut rentrer chez toi, tes parents s'inquiètent à ton sujet.
Floriane ne s'attarda pas et Petitboutdpaind'épice ne quitta pas son petit être géant. Non seulement il était en face de lui, mais maintenant, il lui parlait… Il se laissa transporter par lui en toute confiance. L'oiseau fut reçu avec des acclamations de joie. Les parents de Floriane et Rosalie le reconnurent et lui firent fête.
- Il a toujours sa boîte à chaussures, dit celle-ci en désignant l'objet toujours posé au salon.
Floriane secoua la tête.
- Non, il n'en a plus besoin, il est grand maintenant.
- Alors, nous achèterons une grande cage !
- Non, Bout d'épice doit rester en liberté. Il ira où bon lui semble.
Ce soir-là, Floriane mit Petitboutdpaind'épice dans le couffin de l'une de ses poupées.
- Bonsoir, mon petit oiseau, murmura-t-elle avant de se coucher.
Le lendemain, très tôt, Floriane se réveilla en sursaut. Petitboutdpaind'épice pépiait à qui mieux mieux !
(à suivre dès le 1er juin).
Les aventures de Petitboutdpaind'épice (3)
Tandis que Floriane et madame Hugues gardaient le nez en l'air, essayant vainement de repérer le sujet de leur recherche, Petitboutdpaind'épice tentait de garder son équilibre sur la surface arrondie sur laquelle il venait de se poser. Glissant d'avant en arrière, les herbes autour de lui freinaient son avancée périlleuse. Il ouvrait les ailes et les refermaient autant que s'il volait dans les airs, et trouvait cela fort amusant.
Floriane renifla tristement. Tous les moineaux et les tourterelles étaient revenus, mais pas Petitboutdpaind'épice. Madame Hugues eut beau la rassurer, lui dire que son petit protégé reviendrait, la fillette perdait tout espoir de le voir apparaître. Entre ses doigts, elle émiettait du pain qui tombait régulièrement à terre et faisait les délices des pigeons. Cela faisait maintenant quatre heures que Bout-d'épice était parti. Pourquoi quelqu'un avait-il lancé son ballon dans le jardin de madame Hugues ? Maintenant, Floriane commençait à comprendre pourquoi la voisine se fâchait lorsqu'elle faisait de même. Justement, on sonna au portail. Deux enfants réclamaient leur ballon.
Petitboutdpaind'épice avait trouvé une technique un peu particulière pour avancer dans l'herbe verte tout en restant perché sur son drôle de truc roulant : il arrachait les herbes qui étaient à sa hauteur. Il fallut beaucoup de temps pour avancer de quelques centimètres, mais l'oiseau était patient. Le perchoir prit de l'élan, car il n'y avait plus d'herbe. Le terrain était en pente, et Petitboutdpaind'épice glissait. Soudain, comme il s'accrochait davantage et resserrait ses griffes sur le plastique, un claquement retentit…
Floriane et madame Hugues fouillaient le jardin à la recherche du ballon. La fillette se redressa, horrifiée :
- Des chasseurs, il y a des chasseurs !
- C'est impossible, dit madame Hugues, ce n'est plus la saison.
Pourtant, elle dut elle aussi se rendre à l'évidence, ce bruit sonore qui avait encore fait fuir tous les oiseaux du jardin était très suspect. Elle se mit fort en colère et entraîna Floriane sous les arbres pour se mettre à couvert. Le jardin de madame Hugues était très grand, il y avait une grande majorité de pins qui offrait une agréable fraîcheur, car la journée était très chaude. Floriane courait, sa voisine la suivait aussi vite que lui permettaient les bottes qui la ralentissaient considérablement. Elles arrivèrent au milieu de la pinède et la voisine poussa un soupir de satisfaction.
- Ouf ! dit-elle, je pense qu'il n'y a pas de chasseurs.
- Qu'est-ce que c'était, alors, ce bruit ? demanda Floriane.
- Je ne sais pas. Restons sur nos gardes, et voyons si nous trouvons le ballon.
- Moi, je cherche Bout d'épice.
Petitboutdpaind'épice était si concentré à rester bien accroché sur son perchoir qu'il avait oublié de fuir à la détonation. Il était même très content, car l'objet sur lequel il était posé était brusquement devenu plus confortable. Le perchoir devenu tout plat en un instant se balançait à présent de droite à gauche sur une surface liquide. Courageusement, le jeune oiseau leva une patte, puis l'autre, se pencha près du rebord et poussa un piaillement de joie : là, sous lui, déformé par la surface liquide et instable, il venait de retrouver le petit être, son petit frère ! Cette fois, il ne le quitterait pas des yeux et lui porterait secours !
Floriane et madame Hugues avançaient prudemment, couvertes par d'épais fourrés. Le sol s'inclinait de plus en plus et elles atteignirent bientôt la limite du jardin complètement à découvert. La campagne s'étirait à perte de vue et les vignobles striaient les prairies en vastes surface géométriques. Une barrière en bois plantée solidement dans le sol rocailleux délimitait le terrain de madame Hugues. En contrebas, la rivière coulait ; l'eau miroitait sous la lumière du soleil. Floriane s'accouda à la barrière. Elle ne voulait pas rebrousser chemin. Elle voulait retrouver son oiseau. Madame Hugues ne cacha pas son impatience.
- Tu vois bien qu'il n'est pas ici, dit-elle, il doit être caché dans un arbre en attendant que nous nous éloignions.
- Bout-d'épice n'a pas peur de moi, répartit la fillette.
Elle leva des yeux implorants vers madame Hugues.
- Allons plus loin !
La voisine soupira et chaussa ses lunettes de soleil.
- D'accord, céda-t-elle.
Floriane se glissa agilement sous la barrière, au contraire de madame Hugues qui se retrouva à cheval par-dessus.
- Me voilà coincée !
Petitboutdpaind'épice gardait son équilibre très difficilement au fur-et-à-mesure que les flots s'intensifiaient. Il ne perdait pas de vue son petit frère qui le suivait sous lui, mais beaucoup de rochers faisaient obstacle à son avancée. Chaque fois que l'oiseau se posait sur l'un d'eux, il perdait le petit être de vue. Alors il rattrapait bien vite d'un battement d'aile son perchoir très instable qui glissait toujours sur la surface liquide. Au bout d'un moment, il décida de passer à l'action : levant une patte, il se pencha pour attraper son petit frère…
Floriane avait aidé sa voisine à franchir la barrière. Maintenant, elles couraient le long du cours d'eau.
- Attends-moi ! s'exclama madame Hugues.
La fillette ne l'entendait plus. Elle n'avait qu'une envie, retrouver son petit oiseau. Elle criait son nom très fort.
- Bout d'épice ! Bout d'épice !
Soudain, elle trébucha, glissa sur la pente boueuse et tomba dans la rivière.
- Oh non ! gémit madame Hugues qui arrivait à sa hauteur. Floriane ! Ma petite !
La voisine voulut la rejoindre, retira ses lunettes de soleil et entra dans l'eau, mais ses bottes s'enlisèrent. Alors elle vit un morceau de plastique rouge qui flottait.
- Attends, je vais te lancer quelque chose ! cria-t-elle à l'enfant.
Floriane, qui avait pied, se rattrapa à la drôle de bouée dégonflé pour faire plaisir à madame Hugues. Soudain, elle se figea. Là, dans l'eau, entre deux rochers, gisait un frêle petit corps d'oiseau.
- Bout d'épice ! s'écria-t-elle en plongeant ses mains dans le frais liquide transparent.
Elle attrapa le petit oiseau et le serra contre elle. Madame Hugues la rejoignit et resta stupéfaite.
- Eh bien alors ! s'exclama-t-elle, que fait-il ici ?
- Il faut le sécher, dit Floriane.
Sans réfléchir, elle enveloppa l'oiseau dans le bas du tee-shirt sec de la voisine qui remettait ses lunettes de soleil. Celle-ci le porta délicatement et le déposa sur un rocher.
- Nous avons retrouvé le ballon, dit madame Hugues en montrant à Floriane le bout de plastique rouge. J'irai en acheter un autre aux enfants.
La fillette ne quittait pas son protégé du regard :
- Et nous avons retrouvé aussi Bout d'épice, ajouta celle-ci.
- Oui, et Bout d'épice.
Elles rirent toutes les deux des pantomimes de l'oiseau qui venait de se lever tout doucement et qui piaillait pour les remercier. Surtout, il fixait madame Hugues qui redressait ses lunettes de soleil sur son nez…
Petitboutdpaind'épice était tout étourdi. Où était-il ? Il se trouvait bien, au chaud, sur une surface dure et stable. Où était passé le petit être ? Deux grosses masses le surplombaient. Il cria bientôt de joie en regardant plus attentivement l'une d'elles. Posés dans deux bulles sombres, il n'y avait plus un, mais deux petits êtres en face de lui ! Comme ils se ressemblaient ! Ils le regardaient, tout aussi heureux que lui. Chaque fois qu'il levait une patte, ils faisaient de même. Frétillant, essayant de se tenir droit malgré ses plumes mouillées qui l'alourdissaient, le jeune oiseau se mit à discuter avec eux pour essayer de savoir lequel était celui à qui il venait de porter secours…
( suite le 16 mai)
Les aventures de Petitboutdpaind'épice (2)
Petitboutdpaind'épice était tout surpris ; il se retrouvait dans un nid bien étrange. Certes, celui-ci était très confortable, mais il tanguait dangereusement. Il ouvrit ses petites ailes et resserra ses griffes autour de sorte de rondins bienvenus. Ainsi accroché, il se laissa entraîner dans un tourbillon de sensations rigolotes qu'il n'était pas près d'oublier. Ne serait-ce que ces énormes feuilles aux pointes extrêmement agaçantes qui essayaient sans arrêt de l'arracher à ses rondins, il aurait pris un plaisir fou à laisser le vent ébouriffer son duvet sous la vitesse.
De son côté, Floriane regardait madame Hugues qui se tordait dans tous les sens les mains dans les cheveux pour tenter d'y déloger l'intrus. Mais le jeune oiseau accrochait si bien son bigoudi que tous ses efforts restèrent vains. Enfin, la voisine se calma. Sans doute honteuse du spectacle qu'elle venait de donner à une gamine de dix ans, elle se redressa bien droite, tandis que son passager retrouvait tout son équilibre et s'accrochait encore plus fermement à son rondin en attendant le prochain tour de manège.
- Tiens, dit madame Hugues à Floriane, enlève-moi donc ce qui m'est tombé dans les cheveux.
Elle se baissa et ce fut avec émotion que la fillette approcha son petit oiseau et le toucha enfin. Qu'il était doux et soyeux !
- Petitboutdpaind'épice, murmura-t-elle sans trop savoir comment le prendre pour le retirer de la chevelure grise enchevêtrée, que je suis contente de te revoir !
- Allez, allez, l'interrompit madame Hugues, dépêche-toi !
C'était beaucoup plus facile à dire qu'à faire. Floriane essaya d'abord d'inviter l'oiseau à grimper sur son index, mais ses griffes restaient fermement resserrées autour du bigoudi. Alors elle réunit ses deux mains pour le prendre, mais Petitboutdpaind'épice ouvrit ses ailes et toute tentative resta infructueuse.
- C'est bon ? demanda la voisine qui commençait à grimacer de rester ainsi penchée.
- Pas encore, répondit Floriane, il gigote.
- Il gigote, il gigote ! Empêche-le donc de gigoter !
- Je ne sais pas comment faire.
- Eh bien, moi, je sais ce que je vais faire !
Effarée, Floriane vit madame Hugues tourner les talons et retourner à grands pas vers sa maison.
- Vite, envole-toi, Bout-d'épice, cria-t-elle en courant derrière la voisine, envole-toi, envole-toi, envole-toi !
Malgré ses ailes qui s'agitaient dans tous les sens, Bout-d'épice, comme l'appelait affectueusement la fillette, ne décolla pas. La voisine rentra dans sa maison en courant et ferma la porte au nez de Floriane.
- Non ! cria-t-elle en martelant la porte de ses jeunes poings, vous n'avez pas le droit de faire du mal à Bout-d'épice ! Bout-d'épice ! Bout-d'épice !
Floriane tapa désespérément contre la porte. Elle voulut l'ouvrir, mais les gonds non huilés empêchaient le lourd et vieux panneau de bois de s'ouvrir. La fillette se rappela que tout le monde disait que la voisine ne recevait jamais personne. Elle en conclut que c'était à cause de la porte. Madame Hugues était assez costaud pour l'ouvrir sans difficulté, ce qui n'était probablement pas le cas de son entourage.
De son côté, Bout-d'épice ne bougeait plus. Un tronc d'arbre très bizarre se dressait face à lui, mais aucun bruissement ne lui parvenait. Pas de vent, pas d'insectes, pas de graines. Il devait se trouver dans une sorte de nichoir, de grand nichoir. Le tronc d'arbre face à lui se pencha en avant en même temps que ces deux affreuses feuilles remuantes essayèrent encore de le déloger. Avec horreur, il comprit que le rondin sous lui décollait du sol. Les feuilles l'emportaient, et lui avec ! En silence, il suivait le mouvement tout en fixant le tronc d'arbre en face de lui. Les branches remuaient et engloutissaient un autre petit être qui ne bougeait pas. Pauvre petit être ! Un autre oisillon aussi déboussolé que lui ! Un petit frère ! Bout-d'épice prit la décision de le défendre. Si seulement il ne se sentait pas aussi étourdi : il avait l'impression que lui-même bougeait de la même manière que ce petit être, c'est-à-dire en voltigeant et en décrivant de grands cercles. Enfin ! son rondin ne bougea plus. Ni une, ni deux, il se précipita vers ce petit frère et vit avec joie que celui-ci s'élançait dans sa direction ! Il avait compris qu'il venait le sauver ! Encore un peu… Aïe ! Bing ! Pouf ! Un peu assommé, Bout-d'épice retomba lourdement sur un sol froid et dur. Il eut beau tendre ses courtes ailes, il lui fut impossible de saisir le petit être. Bientôt, le vent lui ébouriffait à nouveau les plumes…
La porte s'ouvrit. Madame Hugues se dressait devant Floriane. Lorsqu'elle vit l'oiseau, la fillette hurla de joie :
- Bout-d'épice !
- Il va bien, dit la voisine en déposant le frêle volatile soyeux délicatement entre les mains de Floriane, mais j'ai eu bien du mal à l'enlever de mon bigoudi et une frayeur quand je l'ai vu s'écraser sur le miroir du lavabo !
La fillette n'osait y croire. Des larmes de joie coulaient de ses joues. Elle tenait son protégé entre ses mains. Il semblait l'observer, tout en bougeant de façon saccadée. Madame Hugues se mit à rire.
- Tu en fait une tête !
- Merci de ne pas lui avoir fait de mal.
La voisine eut l'air peinée.
- Bien sûr que je ne lui ai pas fait de mal ! Comment chose pareille s'est-elle insinuée dans ta petite tête ?
Tout en tenant Bout-d'épice contre elle, Floriane murmura :
- Parce que vous êtes tout le temps en colère et que vous ne recevez jamais personne.
Le visage de madame Hugues se dérida et se rapprocha de la fillette.
- Ai-je l'air en colère ?
- Euh… Non.
- Suis-je seule dans mon jardin ?
- Non.
- Bon alors, je ne suis pas tout le temps en colère et je reçois du monde.
La fillette rit lorsque Bout-d'épice se percha enfin sur son index. Il les regardait avec curiosité.
- Veux-tu essayer de lui donner des graines ? demanda madame Hugues.
Floriane acquiesça et la voisine lui en donna quelques-unes.
- Il les prend ! s'exclama-t-elle ravie.
A cet instant, un ballon atterrit dans le jardin. Bout d'épice fut si affolé qu'il ouvrit ses petites ailes et le vent l'emporta vers les cimes des arbres. De nombreux moineaux s'envolèrent avec lui.
- Bout d'épice ! cria Floriane, où es-tu ?
(à suivre dès le 30 avril)
Aster
Les Aventures de Petitboutdpaind'épice (1)
Chapitre 1 : Une vie si fragile.
Un matin, des cris se firent entendre sous le toit recouvert de tuiles rouges. De minuscules oisillons ouvraient largement leurs becs énormes plus grands qu'eux. Quatre, cinq, six ! Serrés les uns contre les autres, ils ne cessaient de pousser de sonores réclamations. Enfin, leur maman revint, apportant avec elle des insectes pour les nourrir. Il faisait bien chaud dans le nid douillet, bien à l'abri des intempéries, en particulier de la pluie qui tombait très souvent pour arroser la campagne environnante. La repousse de la végétation était assurée, tandis que les arbres dans les vergers abreuvés donneraient de bons fruits juteux cet été. Le bord du toit était mouillé. Il fallait que les petits restent bien au milieu du nid. Ils avaient les yeux fermés et étaient dépourvus de plumes. Leurs frêles corps étaient d'un gris rosé, ils ne ressemblaient pas encore à leurs parents revêtus de jolies couleurs brunes. Soudain, l'un des oisillons se retrouva dangereusement près du bord du toit. Les gouttes d'eau le mouillèrent ; il devint lourd et tomba deux mètres plus bas. Assommé, il ne réagit pas tout de suite, puis s'agita : il n'était plus dans son abri ! Il se mit à crier, à crier, à crier encore…
Floriane venait tout juste de se réveiller. Sa chambre était toute sombre : les rayons du soleil ne filtraient pas à travers les fentes des volets et elle comprit que, comme la veille et l'avant-veille, le ciel était encore encombré de gros nuages gris qui déversaient abondamment leur eau dehors. La fillette frissonna. Le temps ne donnait pas envie de sortir de dessous ses couvertures ! Le réveil sonna. C'était l'heure de se lever. Son père frappa à la porte de la chambre ouverte. Il sourit. Floriane ne tarda plus, s'extirpa de dessous ses draps et courut dans les bras de son papa. Il pleuvait dehors, mais dedans, c'était plein de soleil. Ils rejoignirent la maman dans la cuisine. Elle venait de préparer un bon petit-déjeuner. Encore en pyjama, Floriane dit bonjour à sa sœur aînée. Elle avait quinze ans. Floriane, dix.
- Est-ce toi qui a emprunté mon livre de maths ? demanda Rosalie, je ne le trouve pas.
Non, Floriane n'y était pour rien. Qu'aurait-elle fait d'un livre de maths ? Elle aurait "emprunté" à la rigueur un livre sur la nature et les animaux, mais pas un livre d'algèbre ! Ce n'était déjà plus d'actualité, le manuel était retrouvé, il était sous une ardoise. Floriane considéra ses petits dessins au feutre spécial qu'elle y avait tracés. Des arbres, des fleurs, des oiseaux : il était difficile de discerner ce que c'était tant les traits étaient maladroits, mais Floriane s'en moquait bien. Elle était contente et c'est cela qui lui importait. Ses cheveux blonds en bataille flottaient librement sur ses épaules et sa bouille ronde donnait l'impression qu'elle était bien plus jeune que son âge. Dès qu'elle fut prête, heureuse qu'une accalmie lui permette d'aller au jardin au moins cinq minutes avant d'aller à l'école, elle sortit sur la terrasse.
- Ne va pas dans l'herbe, tes chaussures seraient trempées ! l'avertit sa mère.
Floriane acquiesça. Des cris attirèrent très vite son attention. Curieuse, elle se pencha autant qu'elle put au-dessus du gazon mouillé et aperçut, là, au milieu des jonquilles, un petit être qui ne cessait de crier. Le chat de la voisine était perché sur la fenêtre et Floriane ne réfléchit pas davantage. Elle se baissa, tendit simplement le bras et rapporta à la maison le précieux petit oisillon.
- Regardez ce que j'ai trouvé, il est tombé du nid ! s'écria-t-elle.
Sa mère s'alarma :
- Qu'as-tu fait ? La maman de ce jeune s'en serait occupé ! Il ne survivra pas.
La fillette fut désolée.
- J'ai pensé que Mitchou le trouverait, sanglota-t-elle.
- Va le remettre dehors !
A cet instant, le chat sauta de la fenêtre et passa dans le jardin. La maman de Floriane changea d'avis. Rosalie arriva triomphante avec une boîte à chaussures vide.
- On pourrait lui faire un nid douillet, suggéra-t-elle.
- C'est d'accord, mais il ne survivra pas…
L'oisillon fut installé dans de la paille. Floriane le regarda avec toute l'affection qui lui était possible. Elle voulut l'emmener avec elle à l'école.
- Non, refusèrent ses parents, sa place est à la maison.
Alors la fillette se pencha sur le carton et lui dit :
- Je reviendrai, petit oiseau, je te donnerai des miettes de mon pain d'épice.
- Ce sont des insectes qui lui faudrait, soupira sa mère, il a besoin de sa maman…
- Alors, allons la chercher !
- J'irai demander conseil à madame Hugues, la voisine, elle s'y connaît.
Lorsque Floriane revint de l'école, elle alla droit voir le petit oisillon. Elle devint toute pâle. L'oiseau était couché sur le côté et criait sans arrêt.
- Je n'ai pas réussi à voir la voisine, dit sa maman, j'ai essayé de donner des graines au petit, mais il a refusé. Je crains qu'il n'y ait plus grand-chose à faire…
Floriane sanglota
doucement. Elle se sentait responsable de cet oiseau !
Plus tard dans la soirée, elle lui dit au revoir et déposa près de lui ses miettes de pain d'épice.
- Je t'aime, lui murmura-t-elle tendrement avant d'aller au lit.
Le lendemain, dès qu'elle ouvrit les yeux, Floriane sauta de son lit. Elle descendit les escaliers et se précipita dans le salon. Elle s'arrêta. Plus de carton ! Sa maman apparut:- Tu es déjà levée ! s'exclama-t-elle.
Sa fille essaya d'articuler un son, mais n'y arriva pas. Sa mère ajouta vivement :
- Madame Hugues, la voisine, est venu à notre aide très tard hier soir. Elle a pris l'oisillon et l'a déposé quelque part pour que sa maman puisse venir le nourrir à l'abri du chat.
- Où ? voulut savoir Floriane.
- Elle n'a pas voulu le dire, tu connais son caractère, mais elle a assuré que tu le reverras sans doute bientôt, une fois qu'il aura bien grandi.
La fillette pleura. Elle aurait bien voulu aller voir le petit oiseau.
- Il s'appelle Petitboutdpaind'épice, hoqueta-t-elle.
- Oui, nous l'avons précisé à madame Hugues.
Floriane n'était pas d'accord. Madame Hugues était quelqu'un d'étrange et solitaire qui se fâchait très fort dès qu'un ballon se retrouvait par inadvertance dans son jardin. Pourquoi l'avoir confié à cette dame ? Elle aurait pris soin elle-même de son protégé ! Elle lui aurait donné des miettes de son pain d'épice ! Elle aurait pris soin de lui ! Pendant plusieurs jours, elle resta dans le jardin pour essayer de l'apercevoir et déposait des miettes de pain dans une soucoupe. Il y avait bien des moineaux qui venaient les manger, mais Floriane en était certaine, l'oisillon n'était pas parmi eux.
Un soir, elle se faufila entre les deux rangées de sapins qui servaient de haie entre les deux jardins et pénétra dans celui de madame Hugues. Il avait fait très chaud toute la journée et elle apportait avec elle une petite soucoupe remplie d'eau avec des miettes de pain d'épice dedans. La voisine avait beaucoup de nichoirs et beaucoup d'arbres. Floriane n'avait aucune idée de l'endroit où se trouvait le petit oiseau, mais deux petits yeux noirs l'avaient aperçue. Petitboutdpaind'épice avait grandi. Il était tout recouvert d'un duvet soyeux. Il s'approcha très près du rebord de son abri au milieu des branches et cria très fort. Il essaya pour la première fois de s'envoler et agita ses ailes ainsi que ses pattes dans tous les sens… puis il s'élança maladroitement avant de tomber sur la tête de madame Hugues en colère qui sortait en courant de sa maison et fonçait droit vers la fillette.
- Petitboutdpaind'épice ! s'écria Floriane en sautant de joie à la vue du petit être qui émergeait des cheveux gris, c'est toi !
( …à suivre dès le 15 avril)
Aster